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Critique de JulienDjeuks


Sorel parodie les romans fleuves et romans pastoraux du début XVIIe comme L'Astrée d'Honoré d'Urfé, à la manière dont Cervantès avec son Don Quichotte (1605-1615), quelques années auparavant, parodiait les romans de chevalerie (ayant d'ailleurs lui-même écrit d'abord le roman pastoral Galatée, non achevé et presque renié dans ses textes tardifs). Appliquant les règles comportementales de la littérature d'imagination romanesque à la réalité, Lysis provoque des situations hilarantes par l'ampleur du décalage avec un monde réel tout à fait terre à terre (comme lorsque Lysis veut déposer sa lettre sur le balcon de sa belle et qu'il est douché d'une vidange de pot de chambre, ou lorsqu'il persuade les paysans par ses métaphores que la fin du monde est à demain). le livre est ainsi en premier lieu une critique par le rire du mensonge littéraire et du danger de la prise au sérieux des codes propres à cet univers fictif, critique proche de celle de Don Quichotte mais ici plus encore de celle de Madame Bovary sur les romans d'amour. La limite est peut-être d'avoir fait de la parodie des romans-fleuves, un roman-fleuve interminable...

Comme le Quichotte face aux moulins, Lysis apparaît comme un fou illuminé aux yeux du monde, surtout dans le paysage urbain de Paris. Tel un Socrate bienveillant, Anselme est chargé de le ramener à la bonne santé mentale par la discussion, par le triomphe de la raison. Or, Anselme, voix de la raison et porteur du regard du lecteur, prend goût à la folie du jeune berger, et préfère bientôt l'y laisser, d'abord pour le plaisir qu'il prend à se moquer joyeusement, puis par admiration. Tout comme Don Quichotte dans sa grande folie apparaît finalement comme l'être humain idéaliste le plus touchant et le plus intègre dans la grande oeuvre de réenchantement du monde, tout comme madame Bovary a bien raison de se débattre dans une vie bourgeoise d'ennui profond et de comptes mesquins, Lysis emporte l'adhésion par sa foi en la beauté d'un monde qui serait régi par les règles de l'amour pastoral. N'y a-t-il pas quelque chose de magnifique à faire exister, par la seule force de sa volonté et de son désir, un univers et des règles certes faux mais tellement plus désirables que l'existant ? On est quelque part dans le registre de l'utopie pratique, c'est-à-dire qu'on choisit de vivre ici et maintenant dans un monde alternatif répondant aux règles que l'on souhaiterait voir partout appliquées. La nostalgie pour le mode de vie pastoral rêvé de l'antiquité, n'a-t-elle rien en commun avec les vagues de néo-ruraux qui de 68 à nos jours, partent pour un retour aux vraies valeurs dans un projet d'utopie anarchiste ?

Il n'y a pas d'un côté la réalité, de l'autre la fiction, deux mondes imperméables. le public qui se détourne de la fiction parce qu'elle n'est pas réaliste se trompe assurément. La littérature et la fiction influencent et configurent fondamentalement la réalité, les comportements humains... Ainsi les troubadours du Moyen-Âge ont utilisé les romans de chevalerie pour diffuser l'idéologie courtoise qui imposa de nouveaux comportements (notamment envers les femmes, la poésie et de la spiritualité) et surtout de nouvelles grilles de valorisation des comportements, de quoi redéfinir totalement le concept d'aristocrate. Ce qui détermine aujourd'hui le comportement héroïque, le comportement de réussite virile, les comportements de séduction appréciés et attendus, n'est-il pas plus que jamais dicté par des fables et fictions - séries et films de super-héros, romances... - moins réalistes que jamais ?
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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