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Critique de raton-liseur


Bien difficile de rédiger une note de lecture pour ce livre qui n'est pas du tout ce que j'attendais. Je l'ai commencé en espérant comprendre un peu mieux les sociétés indiennes du passé et du présent au Mexique, sociétés que Jacques Soustelle, ethnologue aujourd'hui un peu oublié, a étudiées pendant une grande partie de sa vie. En réalité, il s'agit plutôt, de l'aveu même de l'auteur, d'un livre de souvenirs et de méditations que d'une monographie sur un groupe culturel ou un autre.
Passant en revue les différentes cultures auprès desquelles il a travaillé, Jacques Soustelle en révèle, avec une plume littéraire qui nous guide d'une main sûre le long de sa pensée lorsque l'on croirait se perdre, les faits saillants qui l'ont amené à développer sa propre conception de l'ethnologie. Il passe plus de temps à critiquer des théories ethnologiques (en particulier les tentatives de classification et de comparaison) qu'à proposer des alternatives, car selon lui, l'ethnologie est une science bien trop jeune pour élaborer une théorie globale.
Il propose cependant une vision qui pour moi est assez nouvelle et originale, et qui lui a été inspirée par le cas d'école que représente l'évolution des cultures et des civilisations sur le continent sud-américain avant et après la Conquista, une vision qui introduit deux nouvelles dimensions à l'étude ethnographique : on s'éloigne de l'étude en deux dimensions des monographies ethnologiques, les deux dimensions de la photo scientifique ou de la feuille de papier sur laquelle est écrite la thèse, pour introduire une troisième et une quatrième dimension. Celle du temps d'abord qui bat en brèche la notion des cultures « primitives », en plaidant pour la prise en compte de la formation d'une société et de l'évolution de ses structures. Les Lacandons et le relâchement de leurs règles matrimoniales en sont un exemple. Celle de la distance ensuite, avec la circulation de traditions et de concepts entre des sociétés que l'on considère souvent comme « pures », fonctionnant en vase clos et exemptes de toute contamination externe. La diffusion des sacrifices humains depuis la civilisation aztèque vers toutes ses voisines et jusqu'à la civilisation yucatèque (plus connue comme civilisation maya post-classique) après le Xème siècle de notre ère est là tout à fait parlante.
De nombreux autres aspects des travaux de Jacques Soustelle sont abordés, toujours pour appuyer sa construction d'une vision dynamique (dans le temps et dans l'espace) des cultures et de la science qui les étudie, l'ethnologie. Il est bien sûr aussi question de l'affrontement des civilisations avec la Conquista, et comment la civilisation Mexica (plus communément appelée aztèque) et les cultures alentour ont réagi pour aboutir à la synthèse particulière que l'on connait aujourd'hui.
Enfin, le livre se finit sur une note plus philosophique, sur le sens de l'histoire des civilisations et des cultures, sur le sens de la vie des hommes qui constituent ces cultures, et sur le sens du métier d'ethnologue. Une pensée qui m'a parue très proche de la philosophie de l'absurde développée par Camus, ce à quoi je ne peux rester insensible.

Jacques Soustelle est aujourd'hui peu connu, probablement en partie du fait de ses engagements politiques sans compromission et contestables durant les évènements qui ont précédé l'indépendance de l'Algérie, mais ce livre n'a rien à voir avec cela (même si je me suis demandé à un moment comment il réconciliait sa vision de l'ethnologie et sa prise de position en faveur de l'Algérie française, probablement par sa volonté d'enrayer le déclin de la civilisation européenne qu'il prophétise probablement à juste titre), et je pense qu'il est important de pouvoir dissocier l'appréciation de l'oeuvre d'un auteur de l'auteur lui-même.
Je conclurai donc en disant que j'ai trouvé ce livre très stimulant, me faisant voir l'ethnologie, une science qui m'intéresse mais que je connais mal, de façon plus dynamique et plus riche. Je n'ai pas toujours été convaincue par des arguments qui m'ont paru à certains endroits plus faibles qu'à d'autres (comme sur l'apport de l'ethnologie pour mieux vivre notre société), mais je ressors de ce livre avec une pensée plus riche, plus étoffée, et, si je ne m'attendais pas à cela au début, j'ai pris un plaisir tout intellectuel d'un bout à l'autre de cette lecture.
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