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Critique de 4bis


4bis
18 novembre 2023
Refermant ces Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde, je ne peux m'empêcher de pousser un petit soupir de soulagement. Quel périple !
Je n'avais jamais rien lu de Wole Soyinka et, sans un billet d'Isacom que je remercie ici de m'y avoir amenée, je serais restée dans cette ignorance complète des oeuvres d'un prix Nobel de littérature (1986). Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde est un volumineux roman paru aux éditions du Seuil cet été. Il pose le cadre d'un Nigéria imaginaire dans lequel la corruption, la vénalité et le marketing ont permis à une petite élite sans scrupule de gangréner toutes les instances du pouvoir. Alors que Boko Haram terrorise les populations par des attentats un peu partout dans le pays, alors que des embouteillages monstrueux empêchent tout déplacement motorisé, que les services de santé semblent en partie dépassés, Sir Goddie, le Premier ministre, mène d'intenses tractations pour trouver un nouveau nom susceptible de favoriser sa réélection. Ce sera Intendant du Peuple, dit IP. le ridicule de l'appellation sent la satire ? C'est normal car c'est bien de ce genre que relève une grande partie du roman.
S'amusant à inventer des festivités aussi grandioses que grotesques, des célébrations à la seule fin de remercier quelques vénaux, une stratégie d'attractivité devant tout aux spin doctors les plus retors, Soyinka embarque son lecteur dans des chapitres touffus pleins de religiosité intéressée, de prise illégale d'intérêt, de scènes burlesques et atterrantes. Chapitres dont on cherche avidement, durant un petit tiers du roman, le lien avec une quelconque mise en place d'intrigue. de temps à autre, comme l'oeil d'un crocodile dans les remous boueux d'un gigantesque fleuve, surgit un nom qui devra être repéré. Et puis, plus loin, après bien des tumultes, alors que le lecteur aura été assommé par de tonitruantes diatribes satiriques mieux que ne l'aurait fait n'importe quel massif tronc d'arbre en travers de sa pirogue, le nom revient. Ou un autre qui désigne pourtant le même personnage. Ou une allusion encore sibylline à un élément narratif fondamental. Et il faudra s'y accrocher comme à un premier indice laissant présager une histoire constituée.
Heureusement, certaines phrases sont vraiment drôles, certains traits magnifiquement décochés. La peinture de cette société à peine caricaturée dans ses excès est féroce et pourrait être jubilatoire. C'est juste que l'histoire prétexte à tout ce déploiement ne m'a pas paru suffisamment solide pour supporter la masse du reste. le devenir des personnages n'est pas un sujet de préoccupation majeur, ils incarnent l'adversité, la déconvenue et leur sort n'est que prétexte à déployer différents cas de figures particulièrement éclairants sur l'état de la société nigériane. Quelle déception pour moi qui goute tant les romans psychologiques et si peu les pamphlets.
Malgré l'éreintement qui m'a saisi au terme de cette lecture et la déception que je ressens à ne pas avoir été complètement séduite, je ne vous en détournerai pas si elle vous tente. Elle constitue une expérience. On peut lui reprocher, ce que je fais allègrement, d'avoir sacrifié ses personnages à un propos satirique et militant, d'avoir cousu de fil blanc une intrigue très faible. On peut trouver aussi insupportables certaines longueurs, une incapacité à choisir entre la farce littéraire, le roman d'aventure et le réquisitoire contre la corruption. Mais on peut gouter aussi le style mordant, apprécier l'ambition du propos. Et puis, finalement, cette intrigue, aussi diluée et invraisemblable soit-elle, elle se tient à peu près.
Aussi, pour aider les potentiels lecteurs de cette somme, outre une machette pour faire son chemin dans ce style luxuriant, un gilet de sauvetage insubmersible et une bonne dose de scotch, je recommande de noter les noms du chirurgien le docteur Menka et de son ami de toujours Duoyle Pitant-Payne. Ce sont, d'une certaine manière, les héros du roman : dès que leurs noms apparaitront, veillez mais ne vous attachez pas !
Ah oui, et puis, dernier conseil : ne lisez pas la quatrième de couverture. Comme le dit Isacom, elle en dit à la fois beaucoup trop et pas assez.

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