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Critique de Ingannmic


Ils sont atteints d'une maladie d'un autre temps, qui n'a pas été totalement éradiquée, et envers laquelle les comportements n'ont guère évolué. Dans la dernière léproserie d'Europe, au sud-est de la Roumanie, ils vivent en reclus, rejetés par le monde.

Parmi eux, un ex-agent secret américain ; un homme né au début du siècle, interné depuis 1928, dont tous les camarades ont été exécutés par les allemands ; une vieille femme (la seule de l'établissement) ayant connu le goulag… Ils sont treize, y compris le narrateur, tacitement considéré comme leur chef, car il est celui dont les organes génitaux sont le moins touchés. Il partage sa chambre avec Robert, l'américain, qui a su conserver son caractère débonnaire et généreux ainsi que sa dignité, portant sa croix en s'efforçant de ne pas devenir une maladie à forme humaine plutôt qu'un homme contaminé par le bacille de Hansen. Un pari difficile, comme on le découvre au fil d'une narration qui révèle l'emprise de la maladie sur un quotidien privé de la distraction que pourraient apporter des contacts avec l'extérieur, du sentiment d'une certaine normalité que pourraient procurer des relations avec des individus sains.

Au lieu de ça, la promiscuité avec leurs semblables leur rappelle en permanence leur propre apparence monstrueuse, la routine est focalisée sur les souffrances et les difformités, baignée de la pestilence des sanies, de la vision des crachats, du sang, des flétrissures, des corollaires de l'affection, : problèmes digestifs, infection des plaies... le tourment débute dès le lever, avec les douleurs et l'examen du corps pour constater les progrès nocturnes de la lèpre qui détermineront l'humeur de la journée, euphorique ou suicidaire. Ainsi la lèpre ne sculpte pas seulement les corps, mais aussi les esprits, qu'elle comble de peur et de pessimisme.

Le narrateur dépeint ces horreurs avec une neutralité exhaustive et spontanée, en accord avec une des règles qui régissent leur microcosme : les émotions n'y ont pas leur place, c'est comme s'ils formaient tous un seul corps, qui vit, respire et mourra avec la maladie. Une question de survie, comme l'est une autre des règles, consistant à oublier ce qu'on a été avant d'être un lépreux, s'en souvenir représentant sans doute la pire des tortures.

Livrés à eux-mêmes dans la grande bâtisse, ils finissent tout de même par percevoir les échos du monde, il faut dire devenus tonitruants. Nous sommes en 1989, la révolution vient troubler la routine de l'usine de ciment voisine, où bientôt se déroulent des affrontements. Mais comme immobilisés par la lèpre et le rejet qui en découle dans un autre temps, il n'y a pour eux ni lendemain ni ailleurs, le monde bougera sans eux, les condamnant au statut de spectateurs.

C'est pourquoi Robert et le narrateur, décidés à prendre leur destin en main, fomentent des projets d'évasion, qui vont bouleverser le fragile équilibre de la petite communauté…

Porté par une écriture dense et précise, "Les enfants de Hansen" est empreint d'une ironie désespérée, qui exprime avec force la cohabitation forcée de l'expression des corps malades avec une humanité qu'il devient difficile de conserver.

A lire.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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