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Critique de soniamanaa


On le surnomme "le vieux crasseux ". Daniel à 84 ans. Il vit seul dans sa ferme avec 4 vaches et pas même un chien. Chaque fin de semaine, il va à Saint-Léger faire au supermarché les mêmes courses : un steak de "blanc bleu", quelques bières et du fromage. Autrefois, il y allait juché sur son tracteur bleu. Mais on le lui a réquisitionné faute d'assurance. Maintenant, c'est sur un antique vélo qu'il s'y rend, le poussant à retour, déséquilibré par le sac de courses.
Jadis, Daniel portait beau. On le voit sur les photos jaunies, impeccable entre ses parents et son jeune frère Michel épileptique et un peu handicapé. Il a pris soin de chacun d'eux avec amour et respect jusqu'à les porter en terre.
Depuis, il vit seul, limitant ses contacts à une poignée de personnes qui ont son amitié. Il s'est retiré du monde, s'est exclu de la communauté, ne donnant sa tendresse qu'à ses vaches, sa ferme, ses terres amputées par de trop nombreuses dettes. Toute sa vie, Daniel a été amoureux de la bouchère. Même après qu'elle lui ait dit non, il a persisté à stoppé le tracteur face à la vitrine, la regardant longuement avant de rentrer chez lui.
Maintenant, Daniel a tout du clochard. Vêtements mités, cheveux longs et barbe hirsute, seul son regard à la fois doux et lointain éclaire son visage labouré de rides.

Si j'ai voulu longuement vous présenter Daniel, c'est en grande partie parce qu'au procès de son assassinat, il a été répété qu'en s'étant exclu des autres, il s'était déshumanisé, s'offrant en quelque sorte comme victime à n'importe quel rite expiatoire. Ni homme, ni bête ; un autre, un rébus, un vieux crasseux...

Un jour de 2014, alors que le printemps pointait don nez, deux jeunes de la bande d'Evregnies ont pénétré chez lui, l'ont frappé avec une planche, et lui ont dérobé les 13000 € qu'il cachait sur son ventre.
Jackpot. Scooter, fêtes à gogo et sapes de luxe, les deux gamins se sont vantés, ont montré la vidéo qu'ils avaient faite. Tout le village savait, mais personne n'a bougé. Parce que l'histoire n'est pas finie. Appâtés par tant de billet, les potes ont voulu retourner à la ferme pour la fouiller. L'un d'eux a frappé lourdement la vieille tête avec le manche d'une fourche. Pour ne pas qu'il se relève, ils ont renversé le lourd poêle sur ses jambes, et ont encore trouvé 6000 €.
Daniel a t'il vécu après cette seconde agression ? Certains témoins l'affirment...
Et l'aventure continue... Quelques jours plus tard, tourmentés par l'idée d'avoir laisser des empreintes, les jeunes décident de revenir à la ferme. Ils arrosent Daniel d'essence et l'incendie embrase la ferme, seules les vaches sont retrouvées vivantes.

Dans cet exercice de justice restaurative, Chris de Stoop, qui ne connaissait que peu son vieil oncle, exprime la nécessité de redonner son humanité à cette figure de vieux crasseux. Entre réflexions intimes et digressions sur le procès, il propose dans ce texte un douloureux chemin de résilience.
A quoi tient à valeur d'un homme ? A son appartenance au système ? A ses connexions réelles ou virtuelles ?
Quant à ces jeunes, certes délinquants et lourds de bagages familiaux délétères, comment ont-ils pu pousser si loin la violence? Sont-ils, comme l'affirme l'auteur, les produits d'une société qui fait de la consommation un ersatz du bonheur? Y- a t'il eu un effet systématique lié au groupe, fusionnant les individualités dans un "tout" garantissant l'impunité de chacun?
Chris de Stoop a rencontré chacun des gamins, les voisins, le bourgmestre, les commerçants, la famille.
Il nous livre ses impressions, ses aversions, ses compassions sans jamais flirter avec le jugement.
A la fin, en plus de l'émotion accumulée au fil des pages, il reste cette question lancinante. Quelle est le prix d'une vie?
Un livre sobre, dépouillé, dont la force de frappe est immense...
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