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Critique de kielosa



+++++ CONTINUE À RAPPELER LEURS NOMS +++++

Telle est le titre de la version néerlandaise du roman du jeune auteur norvégien, Simon Stranger, 43 ans. Quelque part, je l'ai préféré à la traduction de la version originale : "Leksikon om lys og mørke" ou Lexique de lumière et ténèbres. Je trouve que "Continue à rappeler leurs noms" témoigne davantage de sollicitude à l'égard des victimes du passé.

L'auteur, né et vivant à Oslo avec son épouse Rikke et leurs 2 enfants, est diplômé en philosophie et histoire des religions. Jusqu'à présent il a écrit 10 livres dont 2 ont été traduits en Français : "Barsakh" en 2015 et "Le poing levé" en 2019. Certains de ses ouvrages sont traduits en Arabe, Coréen, Japonais et Kurde.
Le livre commenté ici a reçu le prix norvégien 2018 de la meilleure vente. Logiquement, une version française devrait intervenir relativement vite.

"Continue à rappeler leurs noms" s'inscrit aussi parfaitement dans la logique de la tradition juive qui considère qu'un être humain meurt 2 fois : la première fois lorsque son coeur s'arrête de battre et les activités cérébrales cessent ; la seconde fois lorsque le nom d'un mort est pour la dernière fois pensé, prononcé ou écrit.

C'est dans cet esprit que l'artiste allemand, Gunter Demnig, né à Berlin en 1947, a inventé ce qu'il appelle des "Stolpersteine" ou des pierres d'achoppement, c'est-à-dire des pavés de béton ou métal de 10 centimètres enfoncés dans le sol et dont la face supérieure est formée d'une plaque en laiton pour honorer la mémoire d'une victime des nazis. À présent 67.000 de telles pierres ont été placées dans différentes villes européennes.

Cela a été le cas à Trondheim (une ville au centre de la Norvège) avec la pierre commémorative d'Hirsch Komissar, né en 1887, arrêté le 12-1-1942 et tué le 7-10-1942. Ce Hirsch, était juif et le grand-père de la belle-mère de l'auteur.
Cher Hirsch, je vais donc essayer de reculer ta deuxième mort, ajoute l'auteur en se posant la question, comment comme père, il peut expliquer à ses enfants cette haine des Juifs ?

Une façon consiste à raconter la vie et "l'oeuvre" du pire collaborateur que la Norvège, sous occupation nazie, a connu. le bonhomme s'appelait Henry Oliver Rinnan. Il a été à la tête d'une bande de véritables criminels, surnommée la Bande à Rinnan ou la Division Spéciale Lola ( "Sonderabteilung Lola"). 41 membres du gang, responsables de la mort de plus de 100 résistants et autres malchanceux, ont été condamnés après la guerre et 10 se sont retrouvés en 1947 devant un peloton d'exécution, parmi lesquels Rinnan lui-même, qui avait 31 ans. Il avait aussi une sale tronche, comme vous pouvez le voir sur les photos d'Internet.

Simon Stranger ne nous livre pas un récit strictement chronologique, susceptible de devenir monotone, mais alterne les différentes périodes : de l'invasion nazie de la Norvège, en passant par l'occupation, la libération et l'après-guerre jusqu'au jour présent.
Il a fait l'effort d'un authentique historien en interrogeant sa belle-mère Grete Komissar et sa fille Jannicke, de témoins survivants et en épluchant plein d'archives, notamment celles du "Jødisk Museum". Sans oublier plusieurs ouvrages et romans sur la période de guerre, mais publiés hélas uniquement en Norvégien.

Ce choix de procéder ne rend pas seulement le récit plus captivant, mais permet également de mieux expliquer la spécificité de la Scandinavie en 1940-1945, avec une Suède neutre et le Danemark et la Norvège occupés par la peste brune.

Ainsi, le dégoûtant personnage d'Henry Oliver Rinnan nous est présenté d'abord comme un pauvre gosse de parents pauvres, qui souffrait surtout du fait qu'il ne mesurait que 161 centimètres, ce qui le rendait la risée à l'école et l'excluait des activités sportives. Les filles, qui le dépassaient d'une bonne tête l'évitaient les soirées de danse et le môme rêvait en vain d'une copine, genre Greta Garbo.

De la frustration initiale nous évoluons progressivement par la jalousie, la hargne et l'esprit de vengeance vers la cruauté à l'état pur, celle des tortures épouvantables appliquées sur les résistants, Juifs, Gitans, homosexuels etc., dans les caves de la villa, située Jonsvaunsveien 46 à Trondheim.

Et c'est dans cette maison (voir la photo de couverture) que Grete Komissar, la mère de Rikke Stranger, est née et a vécu jusqu'à ses 7 ans. Dans ces horribles caves, où eurent lieu les tortures, et sans le savoir bien sûr, la belle-mère de l'auteur a, ensemble avec sa soeur aînée Jannicke, organisé des petits spectacles pour enfants.

L'ouvrage compte 366 pages et chaque chapitre a comme titre une lettre de l'alphabet, d'A à Z, et - en Norvégien - après le Z, ils restent Æ, Ø et Å.

La version néerlandophone, sortie seulement le 19 mars 2019, s'est déjà vendue à plus de 50.000 exemplaires. Ce qui ne m'étonne nullement car l'ouvrage présente une page d'histoire peu connue dans nos contrées, est accompagnée d'une histoire personnelle véridique et est raconté par un auteur qui est en train de devenir un des écrivains les plus populaires au nord de notre continent.
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