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Critique de michfred


J'aime lire comme on flâne dans une ville inconnue: en allant de place en ruelle, de bistrot en église, de parc en musée. Sans prescription de tour operator, sans challenge touristique. En liberté,  toute à ma musardise...

 Pour le flâneur citadin (ou la flâneuse) ,  s'il se perd parfois, peu à peu se dessine "la forme d'une ville" dont la projection est celle d'une carte de ses émotions,  un journal patient de sa  connaissance. Ainsi s'élabore  une topographie un peu erratique qui est celle de ses trajets, de ses tâtonnements. Mais une ville découverte comme cela est vraiment sienne.

Non, pas Sienne, ici, mais Trieste!

Trieste est depuis quelque temps mon fil rouge, et tandis que je navigue d'un îlot à un autre, d'un auteur à un autre, d'un livre à un autre, la carte marine de la littérature triestine se colore et se complète peu à  peu. J'ai d'énormes lacunes -lagunes?- et je navigue à vue, mais je m'en moque: çà et là maintenant des amis me font signe.

Scipio Slataper, le blond et flamboyant poète du Carso, disparu dans la tourmente de la guerre de 14,  est célébré avec regret et tendresse par son ami Giani Stuparich, le modeste et bouleversant auteur de L'Isola ou de Un anno di scuola,   qui va parfois rejoindre, dans sa librairie de livres anciens, les jours où il est d'humeur abordable, l'ombrageux et mordant Umberto  Saba...

"Trieste dans mes souvenirs"  est un peu la carte marine qui manquait à  ma navigation flibustière.

Stuparich avec précision et pudeur y fait revivre sa ville, ses amis, sa jeunesse.

Une jeunesse irrédentiste, passionnément italienne, farouchement anti - habsbourgeoise et pourtant slavophile, socialiste de la premiere heure et résolument antifasciste-jusqu'à risquer la censure et la prison pour avoir, comme Stuparich, utilisé  le "Lei" et non le "voi" comme "vous " de politesse, Lei , qui, sans majuscule, veut aussi dire "elle", étant jugé effeminé par les machos en chemise noire! 

Une jeunesse marquée par les lois raciales -la plupart de ces grands écrivains triestins sont juifs, souvent non pratiquants ou  issus de mariages mixtes et parfois convertis.. .mais Hitler ne fait pas dans le distinguo...

 Une jeunesse follement amoureuse de sa ville, de son cosmopolitisme généreux et de sa sauvagerie naturelle, entre mer et montagne -"Il mio  Carso", justement!-  , entre ciel - je devrais dire vent, la terrible "bora"!- et mer -  l'Adriatique orientale et slave.

Une jeunesse éprise de sa culture et de sa langue, toutes deux italiennes et fières de l'être. ..mais si souvent brimées, censurées, jugulées...

Revivent sous sa plume les lieux de rencontre, les cafés- le célèbre café Garibaldi!- , les lycées- la pépinière du lycée Dante !- ,  les bibliothèques, les salles de rédaction...

Et reprennent voix et chair ces "amis d'autrefois" qu'il avait "de si près tenus et tant aimés " et qu'un vent qui n'était pas seulement la bora a emportés. ..Carlo, Scipio, Italo, Umberto et tant d'autres...

Stuparich se livre aussi et raconte la genèse de ses oeuvres qu'il passe au fil d'une auto -critique sans complaisance - et toujours avec une extrême modestie.  Il évoque son arrestation quand Trieste tombe sous la férule nazie, ses affres d'écrivain, ses fidélités amicales, et il fait,  de tous ses frères en écriture, des croquis vivants, sensibles et jamais flagorneurs.
 
Ses souvenirs de Trieste deviennent nôtres,  comme nous  devient étrangement familière cette Trieste d'autrefois, aujourd'hui disparue, détruite, oubliée.

C'est là pourtant que je déambule ,  dans cette Trieste littéraire, cette ville fantôme,   et ma balade a tant de charmes que ce serait dommage de ne pas les partager...

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