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Critique de Sofiert



Dans son premier roman si empathique, Mecca Jamilah Sullivan capture le traumatisme épuisant d'être regardé mais jamais vu. C'est ce qui arrive lorsque l'on est réduit à un indice de masse corporelle et à un diagnostic d'obésité morbide.
Malaya est une fillette noire de 8 ans, intelligente et créative qui adore dessiner. Mais elle est très grosse, et son poids devient pour les autres son unique caractéristique. Sa mère, également en surpoids, ne peut s'empêcher de reproduire le schéma familial de culpabilisation dont elle a été victime de la part de sa propre mère.

Malaya subit au quotidien les discriminations physiques aussi bien dans son quartier de Harlem que dans son école préparatoire de l'Upper East Side à prédominance blanche. Constamment auscultée par le regard des autres, même dans celui de ceux qui l'aiment, elle apprend à jongler avec le mensonge, le vol de monnaie dans les poches de ses parents, les réveils nocturnes pour se rendre à la cuisine.
Plus on la juge, plus elle a envie de manger.
Et puis, il y a toutes ces tentatives qui deviennent des échecs, ces privations qui ne donnent pas de résultats assez rapides et il suffit d'une humiliation de plus à l'école ou dans la rue pour que la boulimie revienne combler les vides.
"Alors elle mangea- toutes les bonnes choses frites, baignées de sauce, nappées de caramel, qu'elle avait ignorées pendant ses semaines de marche. Elle revint à la nourriture avec reconnaissance, comme une amante pleine de remords, dissimulant dans son sac à dos des boites de gâteaux en plastique et des paquets de glace à un dollar, avalant le tout avec une tendresse minutieuse dans le silence de sa chambre. Elle vit son corps se regonfler, ses seins s'arrondir, son visage se bouffir comme si on l'avait piquée. Elle avait l'impression de prendre dans ses bras un viei ami dont elle avait oublié l'odeur. "

le roman ne zoome jamais trop loin de Malaya et la suit de près durant toute son adolescence.
A peine évoque-t-il en trame de fond consistante ce quartier de Harlem en pleine gentrification. Il accompagne les déambulations gustatives de la fillette, avec une gourmandise qui met l'eau à la bouche du lecteur. En nous faisant complice de l'appétit de Malaya, séduite par ces cuisines terriblement grasses et terriblement odorantes, Mecca Jamilah Sullivan partage avec nous ces tentations irrésistibles pour ceux qui aiment la nourriture.

Mais en même temps qu'elle grandit, le quartier change de visage et les petites boutiques de plats à emporter sont remplacées par de grosses structures commerciales. Cette nostalgie s'exprime par la voix de Percy, le père de Malaya, qui envisage d'écrire un livre sur la confiscation d'un quartier historiquement noir par une culture blanche dominante.
"Malgré tout ce qu'on sait sur le monde, on n'aurait jamais cru que ces changements, ils étaient pour les Blancs qui s'installaient ici. Et eux ils ne s'en rendent même pas compte. Ils viennent ici parce qu'ils aiment Harlem _ ou plutôt l'idée qu'ils s'en font _ et ensuite ils le font disparaître. C'est toute l'histoire de la culture noire. Nous on crée la magie et eux ils la consomment et ils la prennent pour eux. "

La honte que Malaya ressent pour son propre corps a aussi quelque chose à voir avec la culture blanche et les normes de beauté qu'elle impose. Les modèles visibles dans les médias transportent tous l'image d'un corps blanc et filiforme, de même que les adolescentes de son lycée. La grand-mère de Malaya reconnaît volontiers que c'est plus difficile pour une femme noire d'avoir cette silhouette, surtout lorsque l'hérédité vient s'en mêler.
"Jamais une personne de son poids n'aurait réussi à se purger au point de devenir mince : ce genre de choses, c'était réservé aux filles blanches et maigres."

Alors qu'elle entre dans l'adolescence et qu'elle fait l'expérience de la sexualité, il devient de plus en plus difficile pour Malaya de se situer dans la cacophonie des voix qui lui disent comment gérer son apparence et comment réagir à ce climat de grossophobie si douloureux.
Avec une grande tendresse et sans le moindre jugement moralisateur, l'auteure raconte une histoire de passage à l'âge adulte qui se fait festive. Sa grande proximité avec l'intériorité de son héroïne montre l'ampleur de son talent.
Sans qu'il soit question de poids et de régimes , Malaya finit par s'imposer et à s'assumer, elle apprend à prendre la place qu'elle veut occuper et à nommer ses désirs pour enfin s'épanouir.


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