Je lis cet étrange livre qui se dit roman et qui plutôt est une suite des portraits finement peints et commentés , représentant un certain milieu , la middle-class de la France à l'époque de la Grande guerre.
Les personnages se ressemblent beaucoup entre eux et, je suppose, avec l'auteur. Certains possèdent encore des châteaux , un peu délabrés, mais tous ils travaillent . Ils choisissent comme métiers médecin ou libraire, apprécient leur travail et le font très consciencieusement , avec dévouement même. Mais il est vain d'y chercher de la passion : on n'a pas de compassion pour ses patients , le fait que certains meurent ne perturbe pas outre mesure la vie d'un médecin. Par ailleurs, il a une attitude philosophique face à la vie en général, ce théâtre , où le hasard le plus pur gouverne le tout : les parents, le pays, les amours, la carrière, la mort même. Dans toute l'ambition, il voit le signe de carence : on ne fait pas « ça » chez les gens bien.
Les gens des portraits ont en commun le goût des lettres et des conversations portées sur la littérature. Ils s'amusent de la satyriasis sénile de Hugo qui portait un étui phallique en baleines de corset. Seule l'aphasie de
Baudelaire leur inspirait le respect.
Ils dédaignent les grands hommes, leurs airs de supériorité. Ils n'admettaient pas que certains s'arrogent le droit d'ordonner aux autres.
Ils n'aiment pas voyager : on pourrait se trouver en mauvaise compagnie, en voyageant.
Ce sont des Parisiens qui connaissent leur ville par coeur, en y marchant à pied, tous les jours et toutes les saisons. Ils étaient heureux en France, au centre du Monde, à Paris, au coeur de la France, à là Pitié- Salpêtrerie, au centre de Paris.
Certes, leur pays ne faisait plus trembler , comme avant, la Rome et l'Iéna. Parfois « son peuple éprouvait l'inquiétude : les Anglais avaient la mer, les Russes la terre, les Allemands , l'histoire. Et lui, que lui restait-il ? »
Pour moi, la réponse est convaincante :
de l'esprit, de la science, les meilleurs écrivains, quelques positivistes pour le guider. C'était la France qu'il en coûtait de ne pas aimer .