AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Nastasia-B


Nul ne sait jamais exactement comment seront perçus ses dires, ni comment seront interprétées ses intentions, et les écrivains moins que d'autres, certainement du fait même de la " publication ", c'est-à-dire le rendu public, leurs écrits sont largement diffusés et donc, fort diversement interprétés.

Jonathan Swift s'imaginait-il que 300 ans après avoir écrit sont Gulliver (soit Gul-y-ver, dans lequel il faut entendre l'association de trois mots : pour Gul, qui donne en verlan lug, et qui renvoie à l'allemand Lüge, qui signifie mensonge, puis le y espagnol qui correspond à l'esperluette &, et enfin le ver, qui est le début du français " vérité "), son héros inspirerait le nom d'une gentille chaîne de télévision française à destination des enfants (Gulli dont le logo est vert) ?

Car Swift voulait écrire quelque chose de bien acerbe, de mordant, de tranchant, il voulait cracher tout son fiel à la figure de ceux qu'il détestait, probablement pas se voir ravaler au rang de littérature enfantine. Enfin bon, bref, c'est comme ça, nul n'y peut rien et pour nous autres, il en va de même : les résultats de nos actes ne cadrent pas toujours — voire pas souvent — avec nos intentions.

D'ailleurs, des quatre voyages de Gulliver, bien souvent, la tradition et l'esprit populaire n'en ont retenu qu'un seul, le premier, celui de Lilliput. (Or, il y en a trois autres, notamment le dernier, chez les Houyhnhnms, qui vaut son pesant de crottin de cheval.)

La tradition et l'esprit populaire ont retenu le cocasse de la chose : Gulliver arrive en un lieu où tout est rigoureusement identique au monde qu'il connaît, MAIS, en miniature. Il est fort possible que l'idée vint à l'auteur à l'examen de ce qui prenait grand essor dans les milieux favorisés au moment où il vécut : la maison de poupée.

D'ailleurs, au chapitre des influences de Swift pour ce qui demeure son oeuvre phare, on peut noter deux ouvrages que j'ai présentés récemment : Les Voyages de Sindbad le marin et Robinson Crusoé.

En effet, la traduction d'Antoine Galland des Mille et une nuits au tout début XVIIIe avait eu tellement de retentissement que ce dernier s'était senti obligé de rallonger la sauce et y incluant des histoires qui n'avaient rien à voir, dont le fameux Sindbad le marin. À partir de cette version française, il ne tarda pas à y avoir des versions traduites dans toute l'Europe, qui y eurent le même succès. La traduction anglaise parut en 1711 et il est indéniable qu'à la lecture de Gulliver, le parallèle est frappant avec plusieurs des voyages de Sindbad et le fantastique qui y est associé.

N'oublions pas non plus que le sujet d'un marin anglais seul naufragé sur une île bien lointaine, était une histoire qui avait connu un autre succès fulgurant en Angleterre avec la publication en 1719 de Robinson Crusoé. Juste pour information, Jonathan Swift commence la rédaction de Gulliver en 1721, est-il nécessaire d'insister sur le lien d'influence ?

Qu'en est-il des quatre voyages de Gulliver et, surtout, que semble avoir voulu dire Swift dans son livre ? À Lilliput, on s'aperçoit qu'outre le cocasse de la miniaturisation, les moeurs de la cour et du pouvoir deviennent immédiatement ridicules, dès lors qu'on prend un peu de hauteur, et qu'on s'aperçoit qu'ils sont ridiculement petits, mesquins ou risibles. C'est bien évidemment un brûlot contre le pouvoir politique anglais de l'époque. (Notamment sa politique étrangère contre la France, que l'auteur n'estime pas beaucoup plus.)

Le seconde voyage, à Brobdingnag (concaténation de broad et de grand) renverse les rapports de taille et Gulliver y est maintenant de la taille d'un lilliputien comparé aux naturels de ce pays. C'est un peu lourdingue comme procédé et ici, la cible de Swift semble l'extraordinaire suffisance de l'humain, l'impression qu'il est réellement quelque chose d'important dans la nature alors que l'auteur cherche à montrer qu'il est en réalité insignifiant.

Le troisième voyage, le pire de tous en ce qui me concerne quant à l'intérêt qu'il suscita en moi, composé de cinq étapes à Laputa, à Balnibarbi, à Glubbdubdrib, à Luggnagg et au Japon, est censé dénoncer la politique anglaise vis-à-vis de l'Irlande, de laquelle Swift était originaire.

Enfin, le quatrième voyage, chez les Houyhnhnms, inverse les rôles entre les hommes et les chevaux : là-bas, ce sont les Houyhnhnms, qui sont sages et qui ont le pouvoir et les hommes, qui sont des bêtes au service des chevaux. Notons au passage que le nom des hommes trouvé par Swift a eu quelque influence à l'époque d'internet car il les nomme les Yahoo.

Selon moi, ce quatrième et dernier voyage est le plus intéressant, car il questionne la place de l'homme vis-à-vis d'autres espèces. Pour le reste, hormis l'omniprésente aigreur à peine cachée sous l'ironie, le message de Swift semble être : « Tous des fats, tous des cons ! »... sauf lui bien entendu. Ces ignares d'Anglais n'ont pas su percevoir la valeur et l'intérêt de sa propre contribution à la vie politique.

D'ailleurs, ce quatrième voyage peut également être rapproché d'un ouvrage comme l'Utopie de Thomas More, car c'est presque, avec les Houyhnhnms, une vision de la société idéale selon Swift que l'on lit. Or, cette société idéale n'est pas très éloignée de celle du néolithique : tout progrès fut selon lui une sorte de perte.

Je dois confesser que j'ai vraiment, vraiment peiné à la lecture, dès le premier voyage, mais c'est devenu un vrai calvaire lors du troisième. À ce moment-là, je pensais que je n'y aurais attribué qu'une étoile, tant ce concentré de misanthropie me paraissait pénible et geignard, « tous des pourris, tous des salauds, tous des nazes, tous des minables ». Grâce à l'apport du dernier voyage, j'accepte de relever péniblement mon impression de lecture jusqu'à deux étoiles mais n'irai certainement pas au-delà.

Il en va de même des pseudo trouvailles linguistiques de Swift, indéchiffrables sans le vade-mecum à la fin, et qui, en leur qualité de " private joke ", dans l'ensemble, rendent la lecture plutôt laborieuse. Alors, c'est vrai, j'admets que bon nombre des choses qu'il dénonce, je les partage également, mais ça ne suffit pas à faire un livre marquant, plaisant, stimulant à mes yeux. Cependant, de ceci comme de tout le reste, ce sera toujours à vous d'en décider car ne voici qu'un lilliputien d'avis, c'est-à-dire, au pays des Brobdingnag comme en tout autre, vraiment pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          1345



Ont apprécié cette critique (129)voir plus




{* *}