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Critique de Bequelune


Bryan Sykes est l'un des généticiens les plus connus de la planète ; c'est également l'un des plus controversés. Dans Les Sept Filles d'Ève, il nous raconte son parcours professionnel et comment il en est venu à travailler sur l'ADN ancien, avec la perspective de démêler les origines génétiques de l'Humanité. Après avoir passé en revue ses différents « exploits » qui l'ont rendu célèbres (l'Homme des glaces, l'affaire du tsar, la génétique océanienne), il présente sa thèse la plus controversée, celle d'où est tirée le nom du livre, à savoir celle portant sur les origines génétiques des populations européennes à travers le temps et l'histoire.

Avant de rentrer dans les détails de cette thèse, je dois dire que ce livre se lit comme un excellent roman. L'auteur, tout scientifique qu'il est, a une belle plume littéraire : il sait raconter des histoires, et on devine qu'il aime ça. La majorité des chapitres peuvent être qualifiés de vulgarisation scientifique, et c'est tout un art que de nous expliquer le fonctionnement de l'ADN mitochondrial en restant simple sans être simpliste. Il me semble que Sykes y arrive très bien, et même avec beaucoup d'humour. J'ai trouvé la lecture de ce bouquin tout à fait agréable.

La spécialité de Sykes est de travailler sur l'ADN mitochondrial. Qu'es aquo ? Alors que la majeure partie de l'ADN est concentré dans le noyau de chaque cellule, une petite partie se trouve en dehors : c'est l'ADN mitochondrial qui a pour fonction de permettre l'assimilation d'oxygène. Outre son emplacement, l'ADN mitochondrial a une particularité très utile pour les généticiens : il se transmet à l'exact identique d'une génération à l'autre dans les lignées maternelles. Alors que chaque individu a un bagage génétique mixte, mélange de l'apport de son père et de sa mère, la petite partie mitochondriale est seulement issue de sa mère, qui l'avait elle-même reçue identique de sa mère, etc. Je dis « identique » mais ce n'est pas tout à fait vrai : il arrive qu'une mutation survienne, mais c'est extrêmement rare – une fois tous les 10000 ans en moyenne. Grâce à cette particularité, cette stabilité remarquable, les généticiens peuvent remonter le temps à la recherche de nos origines en comparant les ADN mitochondrial d'individus modernes avec des squelettes anciens, voire très anciens (en comptant le nombre de mutations survenues, on peut dater approximativement ; en regardant la distribution géographique de chaque mutation, on a une idée des voyages effectués par nos ancêtres). Voilà les recherches de l'équipe de Sykes.

Une longue partie de l'ouvrage est consacrée à l'explication du fonctionnement et des atouts de cet ADN mitochondrial. Ensuite, Sykes revient sur ses différents « tests » de cet outil génétique pour mesurer les déplacements antiques de populations : il est appelé pour étudier l'Homme des glaces des Alpes italiennes, puis travaille sur la famille disparue des tsars russes, et enfin sur le peuplement de l'Océanie. À partir de la 137e page, il s'attaque enfin au problème des origines de l'Europe.

Les résultats surprenants de Sykes ont fait sa célébrité, mais aussi toute la polémique. Il soutient que les 3/4 des individus européens du 21e siècle ont une descendante maternelle en ligne directe issue des chasseurs-cueilleurs du paléolithique. Pourquoi est-ce si choquant ? Parce ce que jusqu'à présent on considérait que les chasseurs-cueilleurs du paléolithique avait été « submergé » (c'est le mot souvent utilisé) par des nouveaux-venus originaires du Moyen-Orient, ceux-là même qui avaient inventé l'agriculture. Quand je dis « on », c'est à la fois les généticiens et les archéologues. Quand Sykes a présenté ses résultats, il a donc remis en cause ce qui était presque un dogme. Grâce à ses études sur l'ADN mitochondrial, Sykes nous dit que les agriculteurs du Moyen-Orient n'ont absolument pas « submergé » une Europe nomade : ces paysans se sont seulement installés le long des deux couloirs de circulation connus de longue date, à savoir le long des cotes méditerranéennes pour le groupe dit des « Cardiaux », et le long du Danube vers l'Europe du Nord pour le 2e groupe. On trouve aujourd'hui encore une composition génétique légèrement différente le long de ces deux axes. Mais pour le reste, c'est l'IDÉE de l'agriculture, et non les agriculteurs en personne, qui s'est fait une place de choix en Europe. Pas de colonisation massive donc ni de remplacement total de population, mais juste une innovation technologique (en fait l'invention d'un nouveau mode de vie sédentaire qui allait changer à jamais la face de la Terre) qui a vite parcouru le continent grâce au dense réseau d'échanges entre les tribus de chasseurs.

À partir de là, Sykes identifie 7 « clans », au sein duquel tous les individus partagent le même ADN mitochondrial – 90% des Européens entrent dans l'un ou l'autre de ces clans. C'est-à-dire que si l'on remonte le long des lignées maternelles (ta mère, puis la mère de ta mère, et la mère de la mère de ta mère, et comme ça sur des milliers de générations) on tombe à l'extrémité sur seulement 7 femmes. Non pas qu'il y ait eu par le passé seulement 7 femmes, mais que sur une échelle de plusieurs dizaines de milliers d'années il existe juste 7 lignés maternelles ininterrompues. Les autres se sont éteintes « en cours de route » dans les méandres de l'histoire. En comparant ces ADN avec une multitude de squelettes préhistoriques, Sykes parvient à la conclusion que 6 de ces clans ont une ancêtre commune qui vivait au paléolithique (une chasseuse-cueilleuse), et 1 seul clan est le résultat de l'arrivée des agriculteurs au début du néolithique.

Dans les dernières pages, Sykes se plait à imaginer quelle aurait pu être la vie de chacune de ces 7 femmes à l'origine d'un clan contemporain. Il quitte alors volontairement le domaine scientifique pour imaginer, d'une façon littéraire, la vie quotidienne de ces lointaines ancêtres (même s'il se base sur des données archéologiques).

Sykes est controversé parce que sa thèse contredit ce qui était tenu pour acquis par les autres généticiens, ainsi que par de nombreux archéologues. Je ne suis pas assez compétent pour trancher entre les deux camps, évidemment. Je ne peux m'empêcher pourtant de trouver sa thèse séduisante, même si elle suppose que les chasseurs-cueilleurs, après s'être sédentarisés eux-même suite à leurs contacts avec d'autres groupes, aient vu leur population s'accroitre soudainement et considérablement en l'espace de quelques siècles. Ce qui n'est pas impossible du tout, même si l'hypothèse d'une arrivée massive de colons étrangers semble expliquer plus simplement l'explosion démographique.

Mais Sykes est controversé également parce qu'il propose, via un site Internet, de découvrir de laquelle des 7 « filles d'Ève » nous descendons. Il suffit de payer (beaucoup), et il nous envoie de quoi faire un test ADN. Alors, Sykes se fait-il du fric facile sur le dos de la quête d'identité des Européens ? Ou a-t-il trouvé le moyen parfait pour récolter à grande échelle de l'ADN mitochondrial utile à ses recherches (et à la science) ?
Le débat reste ouvert !
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