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Critique de LightandSmell


Publié une première fois en 1990, les éditions de Borée nous proposent une réédition en format poche du premier polar de Maud Tabachnik, une auteure que je ne connaissais que de nom.

e lis peu de polars, et à la lecture de celui-ci, je pense savoir pourquoi : en nous lançant au visage la noirceur de l'âme humaine, Maud Tabachnik m'a marquée, déstabilisée, donné envie de vomir, mais fait espérer aussi… C'est le premier polar de l'auteure, mais il laissait déjà présager son talent inné pour mettre l'Homme à nu dans ce qu'il y a de pire : la haine pure, mauvaise et implacable, le rejet de l'autre avec ses corollaires, le racisme et la xénophobie, la violence brute et froide, la lâcheté, la perversité… Difficile, même sans avoir le coeur particulièrement fragile, de rester insensible à cette crasse humaine qui prend vie sous nos yeux !

Et pourtant, derrière toute cette noirceur qui vous colle à la peau, l'auteure introduit des éclaircies, pas un franc soleil d'été, mais quelques pointes d'espoir et des petits moments de vie qui vous poussent à croire que rien n'est perdu pour l'humanité et que certains de ses représentants peuvent être « sauvés ».

Et c'est le cas de Lucas. Caïd comme on en fait beaucoup, il habite avec son épave de mère dans un quartier « défavorisé » et s'alimente de bagarres, de haine, d'un semblant de pouvoir en tant que chef d'une bande de casseurs racistes… Seul bonheur dans sa vie, Mabel, une jeune femme aveugle rencontrée grâce à un nain. Et c'est avec elle qu'il prendra la décision de fuir quand les membres de sa bande tabasseront à mort un Malien dont le seul tort était de ne pas être de la bonne couleur de peau et d'avoir rencontré le barbarisme sous sa forme primaire et bestiale. Durant sa cavale, le couple fera la connaissance d'un homme qui est très différent de Lucas mais qui, paradoxalement, lui ressemble un peu. Tous les deux se sont ainsi contentés de vivre leurs vies sans ambitions, mais l'un est socialement intégré quand l'autre s'est perdu dans la délinquance et la violence. Et pourtant, ces deux âmes en peine vont se trouver et lier une amitié à la vie à la mort…

Lucas est un personnage assez complexe et nuancé capable du pire comme du meilleur notamment pour protéger ceux qu'il aime. Alors qu'au début de l'histoire, il se complaît dans la violence et le racisme en vigueur parmi les « siens », on le voit évoluer au contact de Mabel et de son nouvel ami. C'est un peu comme si en grattant la surface et la crasse qui le recouvraient, on découvre un homme ni pire ni meilleur que les autres, juste un homme qui s'est laissé grignoter par un environnement de béton et de perdition. C'est d'ailleurs en quoi cette fuite se révélera une chance : ce n'est qu'en s'éloignant physiquement de son ancien quartier, qu'il pourra s'en détacher psychologiquement.

Malheureusement pour lui, s'il est bien décidé à aller de l'avant et à se construire une vie moins bancale avec sa bien-aimée, son passé semble, quant à lui, bien décidé à le rattraper. Et ce passé collant prendra l'odeur de la trahison et la forme d'un sociopathe qui, privé d'émotions, ne respire qu'à travers le chaos et la douleur qu'il peut laisser derrière lui. À partir du moment où ce monstre prenant forme humaine est lancé sur les traces de Lucas, l'histoire prend un tournant encore plus sombre et intense. Lucas ne connaît pas encore l'ampleur de la menace qui pèse sur lui et sa famille de coeur, mais le lecteur lui sait d'emblée qu'un compte à rebours est enclenché. Page après page, l'angoisse grossit, grandit jusqu'à vous donner cette boule à la gorge qui vous fait craindre le pire. Puis, arrive cette confrontation finale autant redoutée qu'attendue…

L'évolution progressive de Lucas, l'un des points forts de ce roman, repose en partie sur les épaules pas si frêles que cela de Mabel. Seule femme du roman, elle lui apporte la douceur et l'amour qui lui a tant fait défaut dans sa vie. Et sans tomber dans une niaiserie qui ne collerait pas à l'ambiance sombre voire poisseuse du roman, l'auteure montre à quel point cette femme va offrir à Lucas sa « rédemption » ou du moins, l'envie de construire plutôt que de détruire. Un peu comme un phare en pleine mer, Mabel sera alors son point d'ancrage et son échappatoire à une vie marquée par la violence. C'est donc cette femme aveugle qui va lui faire ouvrir les yeux sur son passé et le forcer à regarder son avenir…

Empreint d'abandon, de violence, de haine, de corruption, de racisme et de xénophobie, La Vie à fleur de terre publié il y a presque trente ans réussit l'exploit de ne pas dénoter dans notre société actuelle où ces fléaux sévissent toujours. Une sorte d'intemporalité qui prouve autant le talent de l'auteure pour saisir l'âme humaine que la défaite de notre modèle politique actuel. Car sans que l'auteure ne nous fasse de laïus sur la politique, il est certain qu'elle nous livre ici un roman engagé et fortement ancré dans la réalité, celle non pas des nantis, mais celle des laissés-pour-compte. Cela se ressent d'ailleurs autant à travers le contexte socio-économique dans lequel évoluent les personnages que le style de narration nerveux et presque saccadé de l'auteure. Les dialogues sont vifs, incisifs, directs, parfois argotiques sans être vulgaires.

Avec ce roman, on est dans le vrai, pas dans la réalité romancée et adoucie, et c'est ce qui fait toute sa force. Comme dans la vraie vie, il y a de la noirceur, des circonstances contre lesquelles vous ne pourrez rien, mais il y a aussi de l'espoir, de la lumière et cette envie de vous battre, pour votre vie et pour ceux que vous aimez, qui vous prend aux tripes et qui vous donne la force d'avancer et de vous améliorer…

En conclusion, La Vie à fleur de terre est le premier roman de Maud que je découvre et certainement pas le dernier. D'une plume nerveuse et rythmée, elle nous emmène dans les tréfonds de l'âme humaine et vous prouve que le pire peut côtoyer le meilleur. Assez court, ce roman se lit d'une traite d'autant que porté par un personnage tout en nuances, il est difficile de le lâcher avant que le destin de Lucas ne soit scellé.


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