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Critique de Presence


Subir la volonté d'un autre
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Ce tome contient une aventure complète de Wonder Woman qui ne nécessite pas de connaissance préalable du personnage. Il regroupe les épisodes 759 à 769, initialement parus en 2020/2021, tous écrits par Mariko Tamaki. Les épisodes 759 & 760 ont été dessinés et encrés par Mikel Janín, et mis en couleurs par Jordie Bellaire. Les épisodes 761 à 763 ont été dessinés par Carlo Barberi, encrés par Matt Santorelli et mis en couleurs par Alejandro Sánchez. Les épisodes 764 à 766 et 769 ont été dessinés et encrés par Steve Pugh, et mis en couleurs par Romulo Fajardo junior. Les épisodes 767 & 768 ont été dessinés par Rafa Sandoval, encrés par Jordi Taragona, et mis en couleurs par Arif Pianto. Les couvertures ont été réalisées par David Marquez. Les couvertures alternatives ont été réalisées par Jim Lee (*1), Joshua Middleton (*9).

Dans une prison de très haute sécurité, une émeute généralisée a éclaté. le calme ne règne plus que dans une seule cellule : celle de Maxwell Lord. Ailleurs, une personne est en train de réfléchir à la façon dont les gens se représentent le principe de se battre pour la justice. Elle estime que c'est du flan : les gens se battent pour eux-mêmes, et les héros sont une exception. Wonder Woman est un héros. La princesse Diana de Themyscira est venue comme ambassadrice d'une nation insulaire de guerrières, pour défendre l'humanité. Et l'humanité l'a prise au mot. Elle s'est battue contre les paradémons de Darkseid, aux côtés de la Justice League, contre Cheetah, contre Arès, le dieu de la guerre lui-même. Elle s'est également battue contre Maxwell Lord, un humain doté du pouvoir de contrôler les esprits. Un humain qui s'est opposé à Wonder Woman parce qu'il la considérait comme une menace contre l'humanité. Au temps présent, Diana emménage dans un nouvel appartement, des copines lui prêtant main forte pour apporte des cartons avec ses affaires, mais qui se retrouvent à devoir éviter le lapin Mullaney qui court partout dans les parties communes.

Le lapin Mullaney termine sa course dans le nouvel appartement de Diana qui le prend dans ses bras pour le caresser. Emma, sa propriétaire, déboule en courant pour le récupérer et elle s'excuse profusément auprès de Diana. Elle jette un coup d'oeil aux éléments de décoration déjà présents : des vases, des urnes et mêmes une statue. Elle le fait remarquer à Diana qui lui répond qu'elle a besoin de quelques meubles, tout en lui demandant pour quelle raison elle a le mot Tapis écrit sur sa main. Emma explique que le lapin a grignoté le sien. Elle propose à Diana de lui servir de guide dans des magasins d'ameublement. À la sortie du premier visité, Diana trouve que les canapés proposés manquaient vraiment de style. Alors qu'elles papotent, une voiture passe en trombe sur le parking. Diana se déchausse et sa lance à sa poursuite. Elle finit par stopper la voiture sur l'autoroute avant qu'elle ne percute un poids lourd. La conductrice en sort, ne se souvenant de rien, comme si elle avait été possédée. Elle ne peut pas croire qu'elle a mis en danger son enfant qui était attaché dans le siège auto à l'arrière.

À ses débuts, Mariko Tamaki est une scénariste qui écrivait avec sa cousine Jillian Tamaki, connues pour Cet été là (2014). le lecteur ne peut pas s'empêcher de se demander comment une autrice va présenter le personnage de Wonder Woman, superhéroïne particulièrement puissante, à l'histoire personnelle assez délirante, à base de dieux grecs, d'un matriarcat insulaire, et d'éléments technologiques de science-fiction. Elle décide de se focaliser sur une distribution de personnages très réduite, et sur un ennemi emblématique de la superhéroïne, à savoir Maxwell Lord. Au départ, ce personnage a orchestré la formation de la Justice League après Crisis On Infinite Earths (1985, de Marv Wolfman & George Pérez), version Keith Giffen, JM DeMatteis et Kevin Maguire. Il est devenu un ennemi emblématique de Diana au cours de Infinite Crisis (2005/2006) de Geoff & Phil Jimenez, quand Diana s'est retrouvé acculée à lui briser la nuque. Son superpouvoir de manipulation mentale n'est pas loin d'en faire un individu à la force humaine normale, mais invincible car pouvant prendre le contrôle de toutes les personnes qui l'entourent. Dans la première partie, Diana entame une course contre la montre pour pouvoir le neutraliser après son évasion, alors qu'il a développé une technologie lui permettant de prendre le contrôle des êtres humains à distance.

Du coup, l'autrice n'a pas choisi d'inclure une fibre féministe mais juste de raconter l'histoire du point de vue de Diana, avec deux seconds rôles, l'un masculin (Max Lord) et l'autre féminin en la personne d'Emma Deropalis, une demoiselle qui semble pouvoir avoir entre 15 et 20 ans. le récit met en scène plusieurs thèmes. Celui du viol psychique occupe le premier plan, du fait du pouvoir de Max Lord, et de l'autre supercriminelle Liar Liar. Tamaki ne s'en sert pas comme une métaphore du viol physique, mais comme d'une forme extrême d'un individu qui impose sa volonté à un autre, ou à plusieurs autres. Il y a là une forme d'absence absolue d'empathie, de mépris total d'autrui dans ce qu'il a de différent et d'unique, un totalitarisme qui inféode l'individu à la volonté d'un autre, sans choix possible, sans résistance possible. Il faut voir Max Lord imposer à une jeune femme de ne plus jamais parler avec autant d'énergie dans sa voix, pour prendre la mesure de son insensibilité, et de son mépris pour ce qu'il juge être une futilité inadmissible. Certes ce dispositif revient à plusieurs reprises, mais la scénariste n'en abuse pas : elle montre bien à quel point ce pouvoir permet d'utiliser les autres de manière ignominieuse, et comment la personne qui s'en sert impose son point de vue comme étant le seul valide, comme définissant la réalité par la perception que peut en avoir une unique personne. Dans la deuxième moitié du récit, la criminelle qui se sert de ce même pouvoir en subit les conséquences sans bien s'en rendre compte. Dans la mesure où elle peut ainsi imposer son point de vue à tout le monde, elle finit par croire à sa vision limitée de la réalité, à projeter dessus ses idées préconçues, ses fantasmes déconnectés des faits.

Mariko Tamaki développe ce thème principal dans un récit de superhéros qui met en oeuvre les conventions classiques du genre. Elle sait mettre à profit la richesse de la mythologie de Wonder Woman : Etta Candy, Themyscira et les amazones, la nation de Zandia avec son casino pour supercriminels, et même l'avion invisible. Elle pioche également dans l'univers partagé DC avec un bref passage par le Hall de Justice aux côtés de Superman, et Deathstroke en train d'effectuer un contrat. Elle n'oublie jamais d'ancrer son récit dans le quotidien, avec la présence prépondérante des civils sans pouvoir, et différents environnements. Pour mettre en image cette histoire de 11 épisodes, quatre équipes artistiques se succèdent. Tout commence avec les superbes pages de Mikel Janín : des dessins descriptifs et réalistes, avec des traits de contour fins et précis, un niveau de détails remarquables dans les décors, une représentation de ceux-ci optimisée car ils ne sont présents que lors des scènes en civil. Comme à son habitude, Jordie Bellaire a adapté sa façon de mettre en couleurs aux caractéristiques du dessinateur, se plaçant ici dans un registre naturaliste, avec des dégradés discrets, faisant ainsi ressortir la finesse des dessins. L'artiste représente Diana en combinant la force des dessins de Jim Lee et la séduction de ceux d'Adam Hughes : Diana est magnifique et irrésistible, sans une once de racolage.

Barbieri et Santorelli se focalisent plus sur les personnages, délaissant un peu les arrière-plans, avec une petite exagération superhéros plus sensible que celle de Janín, et une touche de jeunisme plus appuyée. Au cours de ces 3 épisodes, le lecteur en prend plein la vue à plusieurs reprises : le complexe Odysseus à Flagstaff en Arizona, la cavalcade des amazones sur le rivage de Themyscira, Wonder Woman parant des balles avec ses bracelets dans un très beau dessin en double page, ou encore Diana enfant à Themyscira, pleine de malice. Steve Pugh revient dans un registre un peu plus naturaliste, avec un bon niveau de détails dans la représentation des décors, et une touche amusée discrète par intermittence. le lecteur en prend encore plein la vue : la classe de Maxwell Lord très conscient de son apparence, l'arrivée d'un requin d'une taille gigantesque qui croque des ennemis dans une mise en scène facétieuse, la scène de casino très peuplé, l'arrivée imposante de Count Vertigo. Par comparaison, le tandem Sandoval & Taragona repasse en mode superhéros plus classique, avec des décors très esquissés, et des personnages plus dans l'action et la force physique.

Bien soutenue par des équipes artistiques solides, voire très bonnes pour Janín et Pugh, Mariko Tamaki s'installe sur la série pour raconter une histoire en deux mouvements. La première revient sur l'horreur absolue de la manipulation mentale de Max Lord, non pas qu'il l'utilise pour asservir les autres, ou pour leur faire commettre des actes ignobles, mais parce qu'il y a une négation de leur volonté propre, sans possibilité de résistance. La deuxième phase continue avec l'utilisation de ce pouvoir, mais développe plus la souffrance d'une fille négligée par son père, voulant à la fois l'impressionner par sa capacité à faire aussi bien que lui, à la fois le faire souffrir pour se venger. Une histoire bien racontée, manquant à certains moments d'intensité.
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