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Critique de Levant


En lisant pareil ouvrage, la biographie de Camus par Virgile Tanase, relatant en particulier comme il se doit son enfance en Algérie, une enfance sans père, tué dès les premiers combats de 1914, je n'ai pu m'empêcher d'y rechercher les sensations éprouvées à la lecture de Premier homme, ce récit autobiographique qui ne dit pas son nom, publié après la disparition de Camus.

Les faits y sont certes les mêmes, heureusement, mais l'émotion communiquée fait toute la différence. Les sentiments dévoilés par l'écrivain lui-même creusent l'écart entre le vécu et le rapporté. D'un côté la nostalgie d'une enfance pauvre et malgré tout heureuse, l'amour d'une mère silencieuse, d'un instituteur attentionné, père de substitution, que Camus fait sourdre entre les mots, entre les lignes, de l'autre la relation nécessairement fidèle mais dépourvue de ce même trouble d'un coeur qui se livre.

J'étais hier après-midi même à Lourmarin. Je me suis rendu à l'exposition consacrée à celui qui avait en ce lieu retrouvé un décor lui rappelant quelque peu celui de sa jeunesse en Algérie. Les couleurs et senteurs d'un pays aimé, la luminosité surtout. Il avait aussi notamment trouvé un havre de sérénité propice à le remettre au travail de l'écriture, alors que le goût l'en avait un temps abandonné dans la grisaille parisienne et la touffeur d'une société avide de tout sauf de fraternité. Pouvoir y lire quelques pages de sa main, fragments de cette foisonnante correspondance qui dévoilait son intimité mieux que ses propres ouvrages, est une fortune inestimable en prolongement de la lecture de cette biographie.

Comprendre l'homme au-delà de l'écrivain, au-delà de l'homme public. Comprendre l'homme dans les pleins et déliés d'une écriture résolue à ne rien concéder de ses convictions. Justice pour les sans grade, ceux qui comme lui sont nés dans le dénuement et n'ont pas eu a contrario la chance d'être soutenus par l'amour d'une mère, d'une grand-mère certes autoritaire mais bienveillante, d'un instituteur imprégné de son rôle quant au devenir de la jeunesse qui lui était confiée. Camus leur doit son ascension culturelle et sociale jusqu'au rang du Prix Nobel. Retrouver l'homme occulté par la célébrité, souvent contesté, jalousé, celui qui se dévoile sans faux semblant dans les centaines de lettres adressées à Jean Grenier, à André Malraux, à Roger Martin du Gard, à louis Guilloux, à Maria Casarès bien sûr, et tant d'autres encore. L'homme révolté. L'homme découragé de mener des combats inutiles, de prêcher dans le désert, l'homme meurtri dans son corps par la maladie. L'homme pétri de doute, convaincu de l'absurde de la vie, avec ses faiblesses qui font elles aussi que l'homme, fût-il Prix Nobel, reste un homme et n'est pas devenu une instance supérieure, surtout pas. La simplicité de la sépulture à Lourmarin nous le rappelle.

Virgile Tanase nous fait découvrir tout cela par le détail dans un ouvrage fort bien documenté. Il nous livre surtout, avec ce Camus, la preuve évidente qu'être seul contre tous ne donne pas tort.

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