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Critique de batlamb


Les idéogrammes de Tanizaki, bien que recomposés par la traduction, continuent en français de s'agencer en d'entêtants tableaux synesthésiques empreints de perversion. Chez cet auteur, le sadomasochisme apparaît comme un rite d'entrée dans l'âge adulte à travers des textes comme « Les jeunes enfants » et « La haine ». le premier prend la main du lecteur pour l'entraîner dans des jeux de dominations entre enfants de moins en moins innocents, qui culminent dans une sorte de catabase nocturne, la rencontre magique d'une jeune fille transfigurée par la présence de mystérieux serpents qui pourraient (ou non) être moins pétrifiés que les personnages masculins face à cette gorgone, cette Hécate, dont la métamorphose reflète celle de leurs désirs grandissants.

Et « La haine » inflige une violence psychologique totalement contenue dans une narration interne à la première personne, plaçant les pensées perverses du personnage à l'écart de la violence physique qui le stimule et qu'il contribue à stimuler en retour, dans le plus parfait secret.

Pour espérer trouver la clé de ces textes, peut-être faut-il se tourner vers « La terreur ». Tanizaki y livre le portrait émotionnel d'un homme anxieux et hyper sensible, capable de trouver un stimulus à ses angoisses dans certains évènements aussi anodins qu'un voyage en train : le supplice vient des détails, et l'art raffiné de Tanizaki se pervertit ainsi.

Cette tempête intérieure est là encore un secret, gardé pour soi. La nouvelle éponyme donne à ce secret un tour plus positif, gage d'épanouissement esthétique, mais non sans une forte tension sexuelle et identitaire. Gare à trahir les règles établies dans ce rapport, sous peine d'impuissance...

Avec la dernière nouvelle « Une mort dorée », ce jeu de dualité devient un rapport entre deux artistes ratés. Ils se complètent grâce au premier (le narrateur anonyme), qui permet à l'accomplissement du second (son ami Okamura) de subsister dans l'art et la mémoire.

Le travail d'Okamura s'avère d'une étonnante (post)modernité. Aucune de ses figures n'est originale : elle est directement calquée sur une oeuvre existante. Mais leur assemblage, transposé dans la chair et l'éphémère, lui permet d'ouvrir une voie insolite à l'art.

En totale opposition à la dimension « spirituelle », son approche exclusivement « sensuelle » et même hédoniste en ferait presque un double de Tanizaki, qui s'imaginerait ainsi dans un second corps capable de faire correspondre l'art avec les organes humains.

« La plus vile des oeuvres d'art est le roman. Un peu moins vile, la poésie. Au-dessus de la poésie, on trouve la peinture, la sculpture, et plus haut encore que la sculpture, le théâtre. Cependant, l'oeuvre d'art suprême n'est autre que le corps humain. L'art commence dès lors que l'on transforme son corps en beauté. »

Néanmoins, le refus, chez Okamura, de lier et art et imagination paraît trop jusqu'au-boutiste pour faire coïncider les vues du personnage et les descriptions hypnotiques de son auteur, qui évoquent précisément de riches images chez le lecteur. D'ailleurs, une partie des descriptions baroques de la fin de la nouvelle laissent au lecteur « le soin d'imaginer comment chacune de ces compositions pouvait atteindre le comble du raffinement » : une narration qui révèlerait ainsi subrepticement sa part d'ironie… à moins qu'il ne s'agisse d'une confirmation de l'impuissance de la littérature à rejoindre cet art idéalisé.

J'aurais bien demandé confirmation à Tanizaki, mais je pense qu'il aurait répondu par cette énigme : « qu'est-ce qui cesse d'exister dès l'instant où on le découvre ? »
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