Le Percival Lowell apparut enfin, amarré à l’appontement le plus éloigné. Plus impressionnant encore que je l’avais imaginé. Ses quarante-mille tonnes d’acier s’élevaient à travers la brume et rendaient les bâtiments alentour ridicules, les reléguant tous au statut d’embarcation de plaisance.
Le quartier-maître de seconde classe, qui conduisait la jeep dans laquelle j’avais embarqué à l’entrée de la zone sécurisée du port, me mena au plus près du monstrueux navire, jusqu’à la passerelle qui permettait d’y accéder. Et tandis qu’il déchargeait mes deux énormes sacs et ma valise, je contemplais, bouche bée, le mastodonte.
Mon aventure ne devait durer que trois mois. La réalité matérialisée sous mes yeux me fit cependant l’effet d’une douche froide. N’avais-je pas accepté un peu trop vite cette mission très particulière ?
« – Vous et moi ne sommes pas partis sur de bonnes bases, Snow. Sachez d’abord que je n’aime pas qu’on aille contre mes avis et mes décisions. Particulièrement quand c’est réfléchi, et justifié, poursuivit-il.
Encore un maniaque du contrôle. Formidable…
Il prit le zip de sa combinaison et l’abaissa jusqu’à son nombril.
-Qu’est-ce que vous faites ? Paniquais-je.
– Je me met à l’aise, dit-il tranquillement.
Il s’approcha à la manière d’un fauve et je fus forcée de reculer. Mon dos heurta la rambarde. Je m’immobilisais, tétanisée. Lorsqu’il arriva au plus près de moi, j’eus l’impression qu’il allait me manger toute crue. Il posa ses mains de part et d’autre de mon corps, me retenant prisonnière contre la barre d’acier. Ses yeux de glace me poignardèrent. Il m’avait à sa merci et la chose lui plaisait, en témoignait le sourire qui ne demandait qu’à s’épanouir au coin de ses lèvres.
Un parangon de vertu ?
Je n’y croyais pas une seconde.
Je mordis ma langue jusqu’au sang et priai pour qu’il ne s’approche pas plus.
– Alexi, je crois que c’est comme ça que je vais vous préférer. Muette et docile. Et s’il faut pour ça que je me déshabille de temps en temps, cela ne me posera pas de problèmes.
A moi non plus… »
Qu’était-il finalement? Un super héros ? Un pilote ? Ou tout simplement : un homme dans sa banalité la plus affligeante – que je ne voulais pas reconnaître, trop éblouie par sa prestance et son apparence – ?
Se prénommer Alexi et être une fille était une chose, s’appeler Snow et bosser dans la météo en était encore une autre… Je m’attendais toujours au pire quant aux sobriquets ridicules dont on m’affublait.
À mes heures perdues, j’étais plutôt douée pour foutre la merde.
Il serait sorti d’une bande dessinée ou d’un film de super-héros que cela ne m’aurait pas étonnée.
- Il faut qu'on le fasse, Snow... haleta-t-il.
- Faire quoi ?
- Il faut qu'on couche ensemble... Ou l'un de nous deux finira par-dessus bord...
— Tu te fous de moi ! explosai-je malgré moi.
Quelques têtes se tournèrent et je repris à voix basse.
— Tu es totalement inconscient…
— Et toi, tu es un vrai Saint-bernard sous tes airs de harpie !
— Mes airs de quoi ?
— Fais-moi penser de t’attacher une flasque de gin autour du cou quand nous commencerons à voler !
Que Dieu, Lucifer, quelqu’un, n’importe qui, me vienne en aide. Car le lendemain serait un autre jour. Le premier de ceux qui me conduiraient en Enfer ou au Paradis.
Malheureusement pour moi, personne ne répondit à l’appel.
Pouvait-on se réjouir de devenir la maîtresse d’un homme marié ? Le pire, dans tout ça, était que rien n’avait changé. Je voulais cet homme autant que j’aspirais à le massacrer.