AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Nastasia-B


Ce recueil regroupe trois pièces de Térence, soit la moitié de sa production totale disponible à l'heure actuelle. On sait toutefois qu'il n'a pas dû en écrire beaucoup plus car il est mort fort jeune, même pour l'époque.

1. Heautontimoroumenos (Le Bourreau de Soi-Même en français) n'est pas une pièce spécialement comique, à l'image du restant de la production de Térence, mais plutôt une critique sociale avec certains clins d'oeil qui peuvent porter à sourire. On est loin du burlesque de Plaute, par exemple.

La critique sociale qui est adressée ici l'est à l'égard des pères trop sévères avec leurs enfants et qui oublient un peu trop facilement qu'ils ont, eux aussi, été adolescents ou jeunes un jour, et que eux aussi ont commis des imprudences ou des folies, mais qu'ils n'en sont pas pour autant des cas désespérés.

C'est étrange, cette problématique a traversé vingt-deux siècles sans jamais se faner ni ternir. Peut-être bien qu'elle touche à l'universel, à l'incompressible décalage temporel entre le moment où l'on a un fils qui entre dans l'âge adulte et le moment où l'on entrait soi-même dans l'âge adulte.

Les changements qui se sont opérés en nous créent forcément une tension qui se cristallise dans les relations parent-enfant, mais qui semblent bien être une dissonance propre à l'adulte, entre le lui de maintenant et le lui de sa jeunesse.

Cette pièce, sans être particulièrement captivante, est tout de même intéressante pour nous parler des relations sociales d'alors, très misogynes, et une relation esclave-maître, pas aussi tyrannique et déséquilibrée qu'on peut se la figurer de nos jours et qui ne semble pas si différente des relations maître-serviteur de l'Ancien Régime.

2. Phormion. Écoutez bien : Phormion. Ce nom ne vous dis rien ?
C'est pourtant une pièce que vous connaissez plus ou moins, dans ses grandes lignes. Elle a été remaniée et remise au goût d'alors par un auteur français classique. Allez, faites un effort, vous voyez de qui je veux parler. Non ? Molière, ça vous dit quelque chose tout de même. Les Fourberies de Scapin aussi, sans doute.

Et bien Scapin est né ici. D'ailleurs il est né bien plus loin que ça encore puisque Térence lui-même propose déjà un remake d'une pièce grecque d'Apollodore de Carystos intitulée, le Plaignant.

Pour être tout à fait précise, le rôle de fourbe bienveillant est ici partagé entre Phormion et l'esclave Géta, les deux concourant à faire en sorte que les fils puissent épouser les femmes qu'ils ont choisi en dépit de l'avis contraire de leurs pères respectifs.

Les deux fils en question sont Antiphon et Phédria, deux cousins, dont les pères, Démiphon et Chrémès, sont frères. Il est bien entendu question de magouille, d'amour, d'argent et même d'adultère, mais tout se finit toujours bien et les pères sont souvent les dindons de la farce, quoique, jusqu'à un certain point seulement.

3. Les Adelphes. À ce jour, c'est la pièce de Térence que j'aime le mieux : architecture solide, propos intéressant, finesse d'observation sociale, propos toujours pertinent à l'heure actuelle.

L'auteur, un Romain du IIème siècle av. J-C né en Afrique du Nord, nous offre une transcription de deux pièces grecques, l'une de Ménandre et l'autre à Diphile. Et il en réussit une fusion tellement naturelle, tellement bien sentie qu'elle devient un tout très cohérent et plaisant.

Voici donc de dyades de frères : tout d'abord, les aînés, Micion et Déméa, deux frères que tout oppose. L'un (Déméa) vit à la campagne, est rude, laborieux, économe et dit tout net ce qu'il pense. L'autre (Micion) est un citadin, quelque peu oisif, qui sait toujours arrondir les angles et qui recherche volontiers les plaisirs.

Déméa s'est marié et a eu deux fils (Ctésiphon et Eschine). Bien sûr, Micion ne s'est pas marié. Cependant, il a adopté l'un des fils de son frère, Eschine, et l'élève comme son propre fils.

On comprend vite que le contraste qui existe entre les deux aînés aura des répercutions sur la façon d'éduquer les deux fils. Et finalement, c'est là que réside l'essence même du propos de Térence : une réflexion sur l'éducation.

Dans un cas, la force, la rigueur, la morale dans l'autre la permissivité, la bienveillance, la compréhension. Ce qui me semble intéressant, c'est le fait que les deux pères sont parfaitement conscient de leurs choix éducatifs.

Micion considère qu'en créant une relation de confiance avec son fils adoptif, ce dernier ne cherchera pas à lui dissimuler une éventuelle mauvaise action. Déméa pense quant à lui que ce qui le garantira d'une éventuelle mauvaise action de son fils, c'est de lui inculquer au plus haut point les valeurs du juste, du bien et du vrai.

Je vous laisse découvrir le verdict de Térence, beaucoup plus subtil et nuancé qu'il y paraît, et qui finalement est toujours complètement d'actualité, notamment dans la tension qui existe souvent entre parents et grands-parents concernant l'éducation des enfants.

En somme, trois pièces qui ne sont pas vraiment à considérer comme des comédies, puisque leur but ne semble pas tellement de chercher à nous faire rire, mais bien plutôt à nous faire réfléchir sur le fonctionnement psychologique et social des individus. Selon moi, un bon moment de théâtre antique qui touche à l'universalité de l'humain. Mais ce n'est bien sûr que mon avis, c'est-à-dire, très peu de chose et le mieux, c'est encore de vous faire votre propre opinion vous-même.
Commenter  J’apprécie          692



Ont apprécié cette critique (63)voir plus




{* *}