AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


La meilleure façon d'aborder un chemin est-elle toujours de mettre un pied devant l'autre ?
Il aura fallu à Sylvain Tesson de tomber d'un toit, une chute de huit mètres qui aurait pu lui être fatale, pour entreprendre un chemin. Sur les chemins noirs est l'itinéraire de sa reconstruction.
Sylvain Tesson sait qu'il est rescapé. Il va chercher à renaître de ce corps cassé en mille morceaux.
C'est le voyage d'un homme, né d'une chute et qui se relève.
Le temps de recoller les morceaux, voilà l'auteur déjà parti sur ces chemins mystérieux, il va à la rencontre de leurs replis, de leur pur silence, de leur vide miraculeusement sauvegardé au sens physique.
Il est amoché, encore tout cabossé. Son corps lui fait mal. Il avance clopin-clopant. C'est une thérapie. C'est toujours mieux que les tapis roulants des salles de rééducation. On pourrait penser que le premier intérêt de ce livre est de découvrir la géographie insolite d‘un territoire méconnu : celui de ces chemins, ceux de nos ancêtres paysans.
Mais dans nos veines cheminent aussi nos propres chemins noirs, nos dédales faits de mystères et de territoires inconnus. Que l'on tombe d'un toit ou bien du fil d'un funambule, que l'on trébuche dans les trous béants de nos propres vies, qu'importe, le résultat est le même. Une chance parfois surgit de pouvoir se relever. Il faut juste évaluer quel sera le prix de l'effort et, justement, le chemin à parcourir.
Les chemins noirs, c'est la France rurale, ce sont les chemins non balisés, sentiers que l'on devine à peine sur une carte, parfois devenus inexistants. Aucun panneau, aucun signe ne les indique. Pour ce qui est des cartes, il faut aller les chercher sur des cartes IGN au tracé précis.
Les chemins noirs, ce sont des chemins en marge de nos routes.
Peut-être que l'auteur répond à cette sentence d'Hippocrate qui dit que « la force qui est en chacun de nous est notre plus grand médecin. » Marcher, c'est guérir dès lors.
Sylvain Tesson décide d'entreprendre une diagonale entre le Mercantour et la pointe extrême du Cotentin. Ce n'est pas la diagonale du fou, c'est la diagonale d'un homme fou d'azur et d'espace qui se relève dans tous les sens du terme. Il a beaucoup bu avant sa chute, il buvait beaucoup lors de ses escalades fantastiques, et cela aurait pu lui être fatal ce soir-là où il cherchait à tutoyer les étoiles et où il est tombé d'un toit. Alors, il arrête de boire et s'en va sur les chemins.
Lui qui a arpenté les larges étendues des steppes de Russie, le voici dans ce réseau étriqué des chemins de l'hyper-ruralité française.
C'est un corps à corps avec le paysage qui ne lui fait pas de cadeau. C'est un corps à corps avec lui-même.
Il souffre, il a mal, l'effort est rude, mais il sait que l'épreuve lui permettra de retrouver l'usage de son corps. Et puis sans doute le reste aussi...
Car les chemins noirs serpentent dans l'argile et le calcaire et se prolongent en nous-mêmes, dans nos veines, dans les rivages de notre cœur, dans les méandres de nos solitudes intérieures, que nous n'avons jamais fini de visiter.
La renaissance d'un homme est toujours un moment merveilleux.
Il y a bien sûr l'éloge de la nature et du déplacement, hors des sentiers battus, les chemins de traverse, les chemins buissonniers...
C'est un éloge de la lenteur et de l'esquive du monde des écrans et du bruit.
Sur les chemins noirs, c'est aussi un voyage intérieur. L'amitié est au rendez-vous. Il y a de belles rencontres. Des amis, sa soeur, d'autres gens de temps en temps cheminent à ses côtés. Il emporte aussi des livres dans son sac à dos, comme nous le faisons aussi à chaque voyage comme si ce geste était essentiel. Il l'est sans doute, mais pas forcément...
Sylvain Tesson est drôle, il est cultivé, il est intelligent. Mais je reconnais parfois que le « c'était mieux avant » a le sentiment de m'énerver.
Bien sûr il a raison sur certains points, il est ce personnage bourré de paradoxes, outrecuidant sans doute, mais je le lui pardonne volontiers car il est devenu un auteur atypique dans le paysage littéraire français et reconnaissons-le aussi, il en joue un peu dans l'auto-dérision.
Ainsi dans cet ouvrage, j'avoue à certains moments m'être un peu agacé de son point de vue sur l'aménagement du territoire, la fin de la ruralité ou bien notre société remplie d'écrans. Mais oui on le sait... Au risque de m'attirer les foudres des ligues antialcooliques, je le préfère plutôt buveur de vodka que de Viandox et amoureux des grands espaces sibériens, cela lui va mieux car plus inspiré et plus poétique dans son texte. Cela dit, le livre ne manque pas d'intérêt. Et n'oublions pas que l'homme se reconstruit sur ces chemins noirs. L'écriture lui est donc aussi ce parcours vers la verticalité... Étonnamment, j'ai trouvé ce récit trop court alors que certains reprochent à l'auteur d'avoir trop délayé... Je pense qu'il aurait pu creuser davantage certains personnages dans ses rencontres, leur donner un peu plus d'épaisseur.
Et enfin, que voulez-vous il est aussi amoureux des vaches, il leur parle à voix haute et moi aussi. Et puis elles ont des cils magnifiques, à faire craquer le moindre cœur d’artichaut... Nous avons donc ce point commun qui, dès lors, m'oblige à lui pardonner quelques excès pour lesquels j'aurais pu exprimer une forme de réserve... Je reconnais que ce dernier argument ne pèse pas lourd, mais c'est ma façon à moi de dessiner un chemin, noir ou pas je ne sais pas la couleur, vers l'auteur, un chemin non balisé, non écrit sur les cartes, même sur les cartes IGN, c'est juste un chemin du cœur.
Commenter  J’apprécie          4519



Ont apprécié cette critique (44)voir plus




{* *}