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Critique de colimasson


Sylvain est un stégophile : il s'amuse à monter sur les toits des cathédrales, des maisons et de n'importe quoi d'autre. Un jour, un peu bourré, il monte sur le toit de la baraque d'un de ses potes et se casse la gueule huit mètres plus bas. Il passe une année à l'hôpital où il a tout le temps de se demander s'il pourra remarcher. Il se dit alors : « Si je m'en sors, je traverse la France à pied. » Il passe beaucoup de temps aussi à étudier les cartes pour débusquer les chemins oubliés de la France hyper-rurale. Au lieu de filer dans un centre de rééducation, comme le toubib le préconise, il se lance donc dans son aventure de traversée de la France à travers ses chemins noirs.


« Les départements hyper-ruraux au secours desquels la gouvernance s'apprêtait à voler (intelligence de l'Etat au service de l'hyper-ruralité, disaient-ils, ces troubadours !) occupaient une large zone noire. Elle prenait en écharpe les Alpes du Sud, marchait vers les Vosges et les Ardennes en englobant la quasi-totalité du massif central et nombre de départements voisins de la Haute-Loire. »


Qu'est-ce que la grande santé quand elle découvre enfin ses limites ? C'est une des questions les plus intéressantes que Sylvain pose dans la première partie de son bouquin.


« Je regretterais longtemps cette chute parce que je disposais jusqu'alors d'une machine physique qui m'autorisait à vivre en surchauffe. Pour moi, une noble existence ressemblait aux écrans de contrôle des camions sibériens : tous les voyants d'alerte sont au rouge mais la machine taille sa route et le moindre Cassandre à gueule d'Idiot qui agite les bras en travers de la piste pour annoncer la catastrophe est écrasé menu. La grande santé ? Elle menait au désastre, j'avais cinquante ans en huit mètres. »


Retrouver la possibilité de marcher est une bénédiction mais c'est aussi le début d'une initiation. Il faut se familiariser avec un corps qui n'est plus aussi docile qu'auparavant et qui impose ses limites au gré de journées passer à arpenter des chemins pleins de ronces et de nuits à dormir sur le sol. Il faut accepter de rester seulement en France et, pour un mec ayant crapahuté un peu partout dans le monde, c'est un sacré revers. C'est aussi l'occasion de s'interroger sur l'injonction de l'hyper mobilité faite à l'homme moderne.


« Pourquoi une vie à cavaler ? Que rapporte-t-on de ces gigues ? Des souvenirs et beaucoup de poussière. le voyageur rafle les expériences, disperse son énergie. Il revient essoufflé, murmure « Je suis libre », et saute dans un nouvel avion. »


Alors Sylvain se rend compte de ses contradictions. Même écloppé, il ne peut s'empêcher d'avoir la bougeotte, comme parasité jusqu'au fond des neurones par la curiosité prédatrice du touriste. Il lui faut la visite d'un de ses potes pour qu'il comprenne que « la ruralité que tu rabâches est un principe de vie fondé sur l'immobilité. On est rural parce que l'on reste fixé dans une unité de lieu d'où l'on accueille le monde. On ne bouge pas de son domaine. le cadre de sa vie se parcourt à pied, s'embrasse de l'oeil. On se nourrit de ce qui pousse dans son rayon d'action. On ne sait rien du cinéma coréen, on se contrefout des primaires américaines mais on comprend pourquoi les champignons poussent au pied de cette souche. D'une connaissance parcellaire on accède à l'universel. » Et de penser à Jean-Henri Fabre, ce naturaliste collectionneur d'insectes qui vécut trois décennies sur les flancs du Mont Ventoux. Toujours et partout des références culturelles, c'est à ça qu'on reconnaît le parigot.


On peut bien sûr trouver ridicules ses contradictions et le regard émerveillé qu'il porte sur les paysans qu'il rencontre au gré de ses déambulations mais il semble conscient de cette bêtise, toute relative, une bêtise bien moindre face à celle vers laquelle nous précipite le « progrès ». Sylvain clame peut-être une révolte qui frappe dans le vide parce qu'elle n'est qu'une traversée mais elle éveille de vieux rêves. C'est un semblant de quête initiatique (avec tous les défauts que comportent les semblants) dans le monde de la contre-initiation.


« La géographie humaine est la forme de l'Histoire. En quarante ans le paysage se refaçonna pour que passent les voitures. Elles devaient assurer le mouvement perpétuel entre les zones pavillonnaires et le parking des supermarchés. le pays se piqueta de ronds-points. Désormais les hommes passeraient des heures dans leur voiture. Les géographes parlaient du « mitage » du territoire : un tissu mou, étrange, n'appartenant ni à la ville ni à la pastorale, une matrice pleine de trous entre lesquels on circulait. »
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