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Critique de Nastie92


Sur son lit d'hôpital, il s'est fait ce serment : « Si je m'en sors, je traverse la France à pied. »
Sylvain Tesson est un original, un non-conformiste assumé.
Après son accident il refuse de suivre la voie toute tracée par le corps médical :
"Un médecin m'avait dit : « L'été prochain, vous pourrez séjourner dans un centre de rééducation. » Je préférais demander aux chemins ce que les tapis roulants étaient censés me rendre : des forces.
[...]
Il y avait encore une géographie de traverse pour peu qu'on lise les cartes, que l'on accepte le détour et force les passages. Loin des routes, il existait une France ombreuse protégée du vacarme, épargnée par l'aménagement qui est la pollution du mystère. Une campagne du silence, du sorbier et de la chouette effraie. Les médecins, dans leur vocabulaire d'agents du Politburo, recommandaient de se « rééduquer ». Se rééduquer ? Cela commençait par ficher le camp."

Et voilà Sylvain Tesson parti sur les chemins de France pour une traversée en diagonale du pays, de la frontière italienne jusqu'au cap de la Hague. Mais pas n'importe quels chemins.
Notre convalescent fuit naturellement les routes goudronnées ; il fuit aussi les GR trop fréquentés et les chemins de campagne trop connus. Il cherche sur les cartes IGN, avec obstination et minutie, les plus petits sentiers, les plus sauvages, ceux qui existent à peine : les chemins noirs.
"Ces tracés en étoile et ces lignes piquetées étaient des sentiers ruraux, des pistes pastorales fixées par le cadastre, des accès pour les services forestiers, des appuis de lisière, des viae antiques à peine entretenues, parfois privées, souvent laissées à la circulation des bêtes. La carte entière se veinait de ces artères. C'étaient mes chemins noirs. Ils ouvraient sur l'échappée, ils étaient oubliés, le silence y régnait, on n'y croisait personne et parfois la broussaille se refermait aussitôt après le passage. Certains hommes espéraient entrer dans l'Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie."

J'aime Sylvain Tesson, je l'ai déjà dit à plusieurs reprises.
Plus je le lis, plus je l'apprécie.
J'aime son intelligence, son humour, sa façon de mettre de la poésie là où l'on ne s'y attend pas.
Dans ce livre, j'ai particulièrement apprécié l'autodérision dont il fait preuve lorsqu'il évoque son séjour à l'hôpital ("Je m'étais vu sur les chemins de pierre ! J'avais rêvé aux bivouacs, je m'étais imaginé fendre les herbes d'un pas de chemineau. Le rêve s'évanouissait toujours quand la porte s'ouvrait : c'était l'heure de la compote") ou l'amoindrissement de ses capacités physiques ("Vingt ans à jouer sur les crêtes pour aller désormais à un rythme de vieille dame").
J'ai aimé le suivre sur ses chemins. J'ai aimé m'émerveiller avec lui de la beauté des paysages et du caractère insolite ou amusant de certaines rencontres : l'écrivain-voyageur est un fin observateur du monde et des hommes, qu'il sait merveilleusement décrire.
J'ai aimé suivre ses pensées vagabondes qui peuvent en deux petites pages passer de la constatation de son état physique à l'observation d'un couple de chamois, d'un livre de Hermann Hesse à la visite d'une petite église comme il en existe tant dans nos campagnes, du souvenir d'Hervé Gourdel ("ce guide de montagne que des musulmans fanatiques avaient égorgé en Kabylie") à une vache qui "meuglait ses propres requiem dans la nuit de l'alpage".
Lire Sylvain Tesson, c'est voyager. Physiquement, spirituellement, émotionnellement.
J'ai aimé dans ce texte sa façon intelligente de dénoncer avec humour le côté absurde d'une course effrénée vers toujours plus de technologie, qui nous coupe de la nature et nous emmène collectivement vers un désastre prévisible.
Tout simplement : j'ai aimé suivre l'écrivain sur ces chemins noirs qu'il nous décrit si bien.
J'ai aimé marcher en silence à ses côtés, parce que je partage beaucoup de ses points de vue et de ses idées. Je me reconnais en grande partie dans ce qu'il écrit.
Sylvain Tesson aime la France, ses habitants, ses paysages, ses traditions et sa culture. Et il ose l'affirmer haut et fort.
En ces temps de repentance obligée et de flagellation collective imposée, je trouve que cela fait un bien fou !
Il est, de plus, animé d'un profond amour de la nature dont il a une intime connaissance, et pour cela, je le suivrais sur tous les chemins sur lesquels il voudra bien m'emmener.
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