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Critique de Catullus


Ce roman est une uchronie politico-historique : nous sommes au XXIe siècle et un événement serait peut-être arrivé au Bas-Canada au XIXe siècle : une rencontre secrète entre Tocqueville et Louis-Joseph Papineau, lors du voyage en Amérique de celui-là en 1831. Un document, découvert par hasard au XXIe siècle, semble accréditer la réalité de cette rencontre qui, pour corser l'affaire, serait en fait une tentative d'approche de la part de comploteurs français voulant forcer la France à favoriser un soulèvement des « Canadiens-français » contre la Couronne britannique. Vu le but poursuivi, il fallait que le plus grand secret entourât cette rencontre, destinée à vérifier si la population du Bas-Canada était prête à se rebeller et si Papineau avait l'étoffe d'un chef capable de susciter et de mener à terme un tel projet.

L'auteur a très habilement divisé son roman en deux récits parallèles : l'un situé en 2012, lors du « printemps érable » et l'autre en 1864-65, alors que font rage les débats populaires suscités par le projet de « Confédération » entre le Bas- et le Haut-Canada. L'action, dans les deux récits, a principalement lieu à Montréal mais prend fin d'une part à Piopolis, sur les bords du lac Mégantic, en Estrie et d'autre part à Beaumont-la-Chartre, situé à un peu plus de 250 km au sud-ouest de Paris. le point de divergence entre les deux époques est un document daté de 1831, en partie brûlé, qui arrive entre les mains du protagoniste de notre époque, Édouard Martin. À partir de ce qui peut en être déchiffré, il y a lieu de penser qu'il pourrait s'agir d'un ordre de mission pour Tocqueville et son ami de Beaumont : ils doivent aller au Bas-Canada pour y rencontrer Louis-Joseph Papineau.

Les deux récits sont eux-mêmes structurés selon deux points de vue différents; pour l'époque contemporaine, l'auteur a privilégié un point de vue interne, si bien que nous n'avons accès qu'à la perspective du protagoniste principal, un indépendantiste fatigué qui vivote sans prendre parti. La découverte du document venu du passé va lui donner l'occasion de prendre conscience de sa misère politique et affective. Pour le récit situé au XIXe siècle, le point de vue est externe. le lecteur assiste alors aux événements en témoin objectif, ayant accès au réel à travers la description des faits et la lecture des dialogues entre les protagonistes. Ces chapitres, mieux réussis que ceux touchant à l'époque contemporaine, ont un cachet « Alexandre-Dumas» assez plaisant.

Cette division du roman en deux récits parallèles a une conséquence fort intéressante pour le lecteur : il en sait toujours un peu plus que le protagoniste contemporain qui, lui, avance dans sa quête dans le plus complet brouillard. En effet, le personnage principal de l'époque 1864-65, Charles Sévigny, est un jeune patriote plein de fougue nouvellement engagé comme apprenti-typographe à l'Union nationale, un quotidien montréalais qui mène la charge contre le projet de « Confédération ». Lui aussi entre en possession d'un document issu du passé et qui porte spécifiquement sur la rencontre entre Papineau et Tocqueville. Lui aussi va entreprendre une quête afin de découvrir quelles furent les circonstances exactes de cette rencontre. L'ensemble du roman est l'histoire entremêlée de cette double quête de vérité.

Globalement, ce roman est d'une facture classique et de lecture agréable. L'intrigue est bien construite et l'auteur sait maintenir le suspense. Toutefois, certains lecteurs déploreront sans doute l'épisode vaudevillesque par lequel l'auteur sauve en quelque sorte son uchronie..

Cela étant dit, il y a lieu de signaler quelques défauts, le principal étant le peu de profondeur psychologique des personnages et le caractère rudimentaire de leurs relations. La chose est probablement en partie excusable du fait qu'il s'agit d'un premier roman et que l'auteur oeuvre à bâtir une intrique politique plutôt que sentimentale. Moins excusables par contre sont les erreurs de langue, qui finissent par agacer sérieusement (ponctuation déficiente, p. 60; lettre absente, p. 74; phrase bancale, p. 81; accord de verbe, p. 262). Il en est de même pour la présence de deux anachronismes : p. 125, (l'action se déroule en 1864), deux «lits de camps» sont aménagés pour des visiteurs. Or, le «lit de camp» ne sera inventé qu'en 1877; p. 131, (nous sommes toujours en 1864), un personnage de l'époque utilise le verbe «avaliser» dans le sens de «approuver, accepter ». Malheureusement, la première occurrence connue de ce verbe avec ce sens date de 1895.
À signaler également, la confusion qu'il semble y avoir dans l'esprit de l'auteur entre une sleigh et un carriole. Au XIXe siècle, la sleigh servait surtout au transport des choses : arbres, caisses, fumier, etc. et était utilisée en forêt ou dans les champs. C'est l'équivalent d'un camion. La carriole, c'est notre automobile : elle sert au transport des gens et est utilisée sur les routes. Il est donc très peu vraisemblable, comme il est dit à la p. 126, que des villageois se soient rendus en sleigh à une assemblée politique.

Tout cela, qu'une révision linguistique un peu attentive aurait permis d'éviter, finit par avoir un effet similaire à celui que produit la vue d'une verrue sur un beau visage : ça gâte l'harmonie et le plaisir. de même, pour la présence sporadique de grossièretés de langage, voulues sans doute pour faire « couleur locale » mais que le contexte ne justifie pas vraiment et qui semble tout aussi gratuite que l'inévitable plan rapproché sur une paire de seins dénudés dans certaines productions télé-visuelles françaises.
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