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Critique de Alzie


Le petit fruit multi-usages d'un paradis presque perdu, qui ne devrait jamais être défendu (interdit) selon Thoreau ainsi que le dévoile le fond de sa philosophie redécouverte à la fin du texte. Il s'agit de la myrtille américaine (huckleberry) célébrée par lui comme emblème de la vie sauvage (plus proche de l'airelle et confondue par les premiers colons avec sa collègue européenne la myrtille commune (hurtleberry). Court opuscule d'environ quatre-vingt-dix pages (inédit) que liront toutes celles et ceux connecté(e)s Nature. C'est une partie de la conférence sur les myrtilles, écrite à la fin de sa vie, où H. D. Thoreau présente d'abord en naturaliste érudit les différentes espèces de baies sauvages de Nouvelle-Angleterre associées aux noms des scientifiques qui s'y sont intéressé, et couvrant tout le territoire nord-américain. Petites baies connues des Indiens bien longtemps avant que Samuel de Champlain (1574-1635) ne les mentionne après son arrivée au Canada, ou que les Pilgrim Fathers n'accostent à Cape Cod (1620) ou encore qu'elles ne soient affublées de nom latins.

« Je pense qu'il serait bon que nos botanistes rétablissent autant que possible les noms indiens pour désigner les nombreuses espèces de myrtilles, au lieu des noms grecs, latins ou anglais, très inappropriés, utilisés désormais. Ils pourraient avoir une utilité à la fois scientifique et populaire. Ce n'est certainement pas depuis l'autre rive de l'Atlantique qu'on est le mieux placé pour observer, pour ainsi dire, cette famille typiquement américaine. » (p. 62)

Passé l'effet un peu fastidieux pour le profane du recensement des nombreuses espèces et variétés (on s'y perd un peu) ou de la recherche du détail étymologique précis retenons, avant que Thoreau n'en vienne à son véritable motif, la réjouissante description par le menu du cycle de vie des myrtilles américaines, l'énumération de ses multiples vertus, qu'il déroule avec science et poésie au fil des saisons et des paysages, révélant à travers le cueilleur impénitent et chevronné le penseur qui pique toujours autant la curiosité, l'admirateur sensible de la Nature mais aussi, l'éducateur, le géographe immobile jamais trop éloigné de Concord (Massachusetts) qui, de sa cabane, élargit toujours les horizons :

« En bref, les buissons de myrtilles, dans les Etats du Nord et dans l'Amérique britannique, constituent une sorte de forêt miniature survivant sous la grande forêt, qui réapparaît quand celle-ci est rasée et s'étend plus au nord qu'elle. Les Esquimaux du Groenland appellent « herbe à baie » les petits buissons de cette famille portant des baies, tels que la camarine noire, l'airelle et la canneberge, et Crantz* dit qu'en hiver, les Groenlandais recouvrent leurs maisons de « buissons d'airelles », de mottes d'herbe et de terre. Ils les brûlent également, et j'ai entendu parler d'une personne, dans le coin, qui a inventé une machine à couper les buissons de myrtilles pour en faire du combustible. » (p. 48)

*Botaniste et médecin autrichien (1722-1797)

Et plus loin : " Les baies que je célèbre semblent, pour la plupart, se trouver dans une zone qui coïncide très étroitement avec ce qu'on a appelé la famille des Indiens Algonquins, dont les territoires recouvraient ce qui constitue aujourd'hui les Etats de l'Est, du Milieu et du Nord-Ouest, ainsi que le Canada, et entouraient ceux des Iroquois dans ce qui est maintenant New-York. C'étaient les petits fruits des familles algonquines et iroquoises. Bien entendu, les Indiens faisaient naturellement plus de cas que nous des fruits sauvages, et parmi les plus importants figuraient les myrtilles. (p. 51)

Le propos qui vise à pourfendre l'utilitarisme et le mercantilisme de son époque via l'accaparement des terres et la négation de la culture indienne rend compte, sous couvert de myrtilles, de la vision du monde de Thoreau et prend de l'épaisseur au long des pages avec des accents mélancoliques anticipant la fin de la cueillette libre dans les champs. Symbole d'un écosystème végétal et culturel épanouissant pour l'homme bien plus vaste qu'il n'y paraît, en passe de disparaître, "le fruit défendu" (oublié le sens biblique) l'est ici au sens politique par Thoreau. La myrtille sauvage menacée par la privatisation galopante des parcelles et l'exploitation incontrôlée des ressources offertes par la Nature préfigure déjà à elle seule et si petite qu'elle soit les lendemains capitalistiques qui déchantent dont Thoreau pressent l'avènement funeste.

Parce que le printemps est là annonçant la saison des petits fruits noirs aux reflets bleu et malgré l'actualité peu engageante de guerre ou de sécheresse pour d'autres récoltes à venir on ira sans restriction vers cette géopolitique de la myrtille, baie dont la beauté discrète est sans doute la seule arme chère à Thoreau.

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