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Critique de LaBiblidOnee


J'avais envie de grands espaces après des semaines d'enfermement, et j'espérais en trouver avec Thoreau à l'étang de Walden. J'y ai trouvé de l'espace, oui, mais autant un espace de réflexion qu'un espace pour folâtrer. L'auteur m'a sortie de mon engourdissement pour explorer les questions de la pertinence et du sens de nos choix de vies civilisées.


«  Une fois que l'homme s'est procuré l'indispensable, il existe une autre alternative que celle de se procurer les superfluités ; et c'est de s'aventurer dans la vie présente. »


Thoreau part du constat qu'il ne comprend plus la société occidentale dans laquelle il vit. A-t-on d'autres options que de poursuivre ce chemin toujours plus artificiel et consumériste ? En quête d'un sens à sa propre vie, l'auteur cherche une voie plus raisonnable. Quand le faste et l'ostentatoire servent d'écran de fumée à une société terne et creuse, une vie plus simple et dépouillée à l'extérieure peut-elle nous enrichir de l'intérieur, en se concentrant sur l'essentiel ? Et qu'est-ce que l'essentiel ?


« A l'état sauvage toute famille possède un abri valant les meilleurs, et suffisant pour ses besoins primitifs et plus simples ; mais je ne crois pas exagérer en disant que si les oiseaux du ciel ont leurs nids, les renards leurs tanières, et les sauvages leurs wigwams, il n'est pas dans la société civilisée moderne plus de la moitié des familles qui possède un abri. »


Peut-on être plus satisfait en s'inspirant de l'état de nature, en se dépouillant de tout ce qui n'est pas indispensable, et en travaillant soi-même à satisfaire ses propres besoins ? Pour le savoir, Thoreau part vivre dans les bois de son enfance. Nous expliquant son choix, il interroge sur la société de consommation (il vivait au 19ème siècle…!), sur le sens de nos « richesses » extérieures quand nous nous sentons toujours plus pauvres à l'intérieur. Il nous parle de coquilles vides, de grandes maisons ornementées et d'âmes grises et minuscules qui ne pourront jamais les remplir. Et il pose même déjà la question du végétarisme.


Une fois dans les bois, Thoreau construit son récit autour des thèmes qui fondent sa nouvelle vie : la lecture, les sons, la solitude, ses cultures, le village, les étangs, ses voisins sauvages… Chacun permet de comparer l'ancien et le nouveau mode de vie dans un but de réflexion. Ces thèmes sont autant de cases de marelle destinées à nous mener jusqu'au Ciel, pour en observer les étoiles un peu plus en astronomes qu'en astrologues. Alors enfin, nous nous immergerons tout entiers dans cette nature et son étang, qui purifieront autant nos corps que nos esprits. Et nous finirons par nous livrer corps et âme à cette nature omniprésente, vivante, immortelle.


*****

Ces trois étapes assez nettes ne découpent pourtant pas l'ouvrage : elles s'y fondent, lentement mais sûrement, au fil des thèmes abordés et de notre acceptation, pour ne former qu'une seule et unique expérience : celle de l'auteur. Plus on avance dans l'expérience, plus on pénètre l'esprit des forêts et plus la nature nous enserre. On aimerait qu'elle ne nous libère plus jamais, car c'est finalement en elle qu'on est le plus libre d'être nous-mêmes. Elle est tellement belle, apaisante et vibrante, décrite par Thoreau. Jamais le combat à mort des fourmis, les ruses de la bécasse, le chant des hiboux ou les orgies de grenouilles n'ont été plus passionnants. On joue même aux échecs sur le lac avec le facétieux plongeon huard, ou à cache-cache avec une chouette !


Au total son oeuvre nous offre autant de quoi nourrir notre esprit - avec des réflexions consistantes sur nos modes de vie occidentaux - que de quoi nourrir nos rêves - avec cette nature inspirante qu'il personnalise comme la muse qu'elle est pour lui, et qui nous attire telle une amante mystique dont nous voulons, nous aussi, apprendre les charmes et percer les mystères… Le propos est plus que jamais d'actualité 150 ans plus tard. Mais cette lecture ne consiste pas seulement à se demander si, et comment, l'on peut choisir de vivre autrement ; Ce peut être plus simplement la prise de conscience, d'une part, que la course à la consommation et aux richesses extérieures ne suffit pas à nous rendre heureux ; et d'autre part, de notre besoin vital et constant de nous inspirer de la nature, et des raisons de ce besoin, afin de pouvoir l'écouter et l'assouvir lorsqu'il se fait sentir.


Sur la forme, ce récit pourrait sembler dogmatique autant que visionnaire, et il souffre parfois de contradictions de façade nées de la confrontation avec l'expérience mais qui, en réalité, s'expliquent probablement par l'expérience elle-même (prendre du recul sur les choses et les gens, pour les apprécier mieux à plus petite dose). Mais en réalité, cette mise au vert reste un débat ouvert avec le lecteur. Thoreau ne cesse de répéter que son choix et sa façon de vivre n'ont pas vocation à être ceux de tout le monde : son oeuvre a seulement pour but de l'aider à redonner de la valeur aux choses comme aux gens (moins, mais mieux), et de questionner chacun sur le sens de sa propre vie. D'ailleurs, il passera lui-même à d'autres expériences lorsque celle-ci lui aura apporté ce qu'il était venu y chercher. « Explorez-vous vous-mêmes » exhorte-t-il.


Vous êtes prévenus, lecteurs, vous n'entrez pas dans les bois de Walden uniquement pour vous détendre, mais pour apprendre à regarder, à méditer sur ce que vous voyez et en tirer profit !
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