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Critique de Blok


Dernier livre en date d'Emmanuel Todd, Les luttes de classe en France au XXIème siècle se révèle comme ses autres ouvrages stimulant, passionnant, souvent instructif, parfois très drôle, et .... irritant; il pèche en effet par surinterprétation comme il le fait souvent et surtout comporte un "blanc" dans sa démonstration, sur lequel je reviendrai.
Il se structure en trois parties:

-§. dans la première, "Le changement social: 1992-2018" (la première date, 1992? n'est pas innocente, car elle correspond au Traité de Maastricht, évènement fondateur de la société actuelle selon l'auteur), il reprend tout d'abord ses analyses basées sur les structures familiales comme modèle interprétatif, énoncées dans le livre fondateur de ses théories, L'invention de la France, et il constate qu'elles ne sont plus opérantes aujourd'hui, ces structures s'étant maintenant fondues dans un modèle familial unique. En outre, la société française était structurée par deux forces antagonistes, l'Eglise Catholique et le parti Communiste. Or ces eux piliers sur lesquels s'appuyait l'ordre social ont disparu.
Ne reste donc qu'une masse anomique privée de toute transcendance. Pour la structurer ne reste plus que la lutte des classes, desquelles il établit une typologie profondément originale.
Après avoir récusé les stratifications définies par l' INSEE, il constate les divisions suivantes:
-au sommet une classe dominante, non pas les 10% auxquels ont se réfère habituellement, mais les 1 % voire les 0,1 %; toutes les autrs classes sont dominées;
-viennent ensuite les fameux 10%, auxquels il convient d'agréger le décile suivant; ces 20 % sont des dominés qui se croient dominants parce qu'on le leur a fait croire; ils sont la plus parfaite illustration du phénomène appelé "fausse conscience"
-en dessous, les 50 %,groupe flottant et indifférencié, dépourvu de conscience de lui-même et agrégeant des groupes très divers
-et tout en bas, les derniers 30 %, les pauvres, ou le prolétariat, comme l'on veut.
Ces diverses classes se différencient non seulement par un niveau de revenus mais aussi par un niveau d'éducation, les deux n'étant pas nécessairement corrélés ?
A chacun de ces groupes correspondent des comportements électoraux qui ne sont pas toujours ceux qu'on attendrait
Selon moi, cette analyse, dont je n'ai que très imparfaitement résumé la finesse, constitue la partie la plus intéressante et convaincante du livre

§La deuxième partie, "La comédie politique" ne manque cependant ni de pertinence ni d'intérêt.
Elle est consacrée à l'évènement fondateur de Maastricht et à ses conséquences selon l'auteur: la perte de la souveraineté monétaire a entrainé celle de la souveraineté nationale- On y ajoutera la tragi-comédie de 2005-2007 /l'échec du référendum de 2005 suivi du refus par les élites d'exécuter la volonté du peuple. Dès lors la messe est dite: c'est ce que l'auteur appelle la "comédie politique", c'est-à-dire des élections dont le résultat n'a pas d'importance, puisqu'il ne changera rien en réalité.
Elle a entraîné aussi la destruction du tissu industriel français et un appauvrissement et un déclassement généralisés dont les effets commencent à se faire sentir à plein ?
Il est d'ailleurs dommage que, le livre étant écrit en 2020, il ne puisse bien sûr intégrer les bouleversements importants intervenus depuis deux ans. Il est vrai que les choses vont si vite qu'on en aura hélas sans doute beaucoup plus encore à analyser d'ici six mois seulement..
Si la perte de souveraineté résultant de la monnaie unique n'est réellement contestée par personne, si ce n'est que certains, comme Emmanuel Todd (et moi-même) la déplorent, alors que d'autres s'en félicitent (les mêmes contesteront sans doute aussi le grand déclassement. C'est normal, il les concerne aussi)!en revanche on ne peut le suivre quand à l'indifférence totale du résultat des élections politiques; la preuve en est d'ailleurs que lui-même consacre plusieurs chapitres à critiquer les décisions de nos trois derniers présidents de la République, qui ne résultent pas toutes d'une application mécanique des principes de Maastricht.

§.La troisième partie, "La crise", beaucoup plus polémique et politique, est consacrée pour l'essentiel à une mise à plat et en pièces de Macron, de sa personne, de ses idées (ou plutôt de sn absence d'idées, de sa gouvernance et de sa politique.
Si l'on peut se trouver d'accord avec beaucoup, voire la majorité, de ces critiques, le dénigrement y est cependant poussé à l'excès (comme il l'est dans les écrits récents de Michel Onfray, ce qui leur fait perdre une bonne partie de leur portée.
Par ailleurs j'ai parlé tout à l'heure d'un "blanc" dans le livre, et il est de taille.
Aprés avoir constaté à raison la quasi-disparition du catholicisme, et détaillé ses conséquences sur la société française et son évolution, il ne veut littéralement pas voir les conséquences du surgissement d'une autre religion, l'Islam, dont il constate cependant l'importance numérique, puisqu'il reprend au détour d'un paragraphe la découverte faite par Jérôme Fourquet dans son excellent livre, L'Archipel Français : en 2018, les prénoms arabo-musulmans représentaient 18% des prénoms donnés en France, ce dont il résulte mathématiquement que les Musulmans représenteraient le même pourcentage de la population, ou au moins de la partie en âge de procréer, ce qui revient au même en prospective.
Et cela n'aurait aucune importance? Todd évacue la question en indiquant qu'il s'agit d'une simple attitude culturelle. Cette cécité surprenante se double d'une position pour le moins surprenante, pour ne pas dire scandaleuse, sur les réactions de l'Etat et de l'opinion après les attentats de 2015 (reprises de son livre "Qui est Charlie?".
Il y a peut-être une explication très personnelle à cette cécité qui ne peut être que volontaire: l'auteur indique en passant qu'il a trois petits enfants portant des prénoms arabo-musulmans. C'est une explication, mais ce n'est pas une excuse: le fait bien compréhensible de ne vouloir stigmatiser personne, n'implique pas de nier les conséquences d'un phénomène de cette importance, alors qu'on reconnait par ailleurs l'importance sociale du fait religieux
Malgré toutes ses qualités soulignées par ailleurs, c'est donc loin d'être le meilleur livre de l'auteur.
Et il vaudrait mieux ne pas lire la conclusion, proprement délirante, et que je renonce à commenter. Disons seulement que l'auteur appelle à une sortie de l'euro avec le soutien des États Unis (!) et particulièrement de Donald Trump (!!!) ce qui permettra de réunifier la nation française autour d'un Leninisme libéral (!!!!!). Si quelqu'un a compris, qu'il m'écrive, il a gagné !
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