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Critique de LadyDoubleH


Il y a trois mille ans de ça (ou bien était-ce hier ?). Agamemnon se prépare à faire voile vers Troie avec son armée, pour venger l'honneur de son frère Ménélas et récupérer Hélène. Pour faire souffler le vent, les Dieux réclament le sang d'Iphigénie, la fille ainée d'Agamemnon. « Je te demande de m'épargner. Je demande à mon père ce qu'une fille ne devrait jamais avoir à demander. Père, ne me tue pas ! ». Mais le roi de Mycènes s'incline devant les oracles, et organise le sacrifice. Sa femme, Clytemnestre, ne le lui pardonnera pas.

Maison des Rumeurs, c'est la tragédie grecque des Atrides, remise en scène par Colm Toibin. Comme il a fait revivre la mère de Jésus dans le Testament de Marie (lire ma chronique par là), ici ce sont les voix de Clytemnestre, d'Oreste et Electre qu'il nous donne à entendre.

Dans une maison où des gens ont vécu, leurs noms mille fois prononcés, il reste, après le départ de tous, comme un écho de leurs pas, de leurs voix. Des rumeurs. Des souvenirs. Maison des rumeurs en français, House of Names en version originale. Colm Toibin fait ici reprendre corps à ces traces, leur insufflant vie et humanité. Les différents protagonistes ont à nouveau un coeur, une âme, des peurs, des motivations, des passions.

Tout part du sacrifice d'Iphigénie, mais surtout de Clytemnestre, pour qui la douleur d'avoir perdu sa fille, et dans de telles conditions, dessille les yeux : les dieux ne sont plus. Elle décidera seule de se venger, de noyer ses tourments dans le sang de son époux. Quand il reviendra victorieux de Troie, elle l'égorgera.

Colm Toibin interroge ce temps où les dieux ont commencé à détourner le regard des hommes – ou bien serait-ce l'inverse ? Comme dans le Testament de Marie, c'est une mère déchirée qui parle au début de ce livre. « J'ai oublié tant de choses. Cependant l'odeur de la mort s'attarde ». Une mère dont l'enfant vient d'être sacrifié sur l'autel de la religion et de la politique, une femme qui refuse de se soumettre au consensus général. Marie ne dit pas ce qu'on veut entendre d'elle. Clytemnestre invente le libre arbitre. « Parmi les dieux, plus aucun ne m'apporte son secours, plus aucun ne surveille mes actions ni ne connaît mes pensées. Je ne les invoque plus. Je vis seule avec la certitude que le temps des dieux est révolu. ». Etre humain, être conscient, c'est aussi chercher en soi ses propres réponses.

Colm Toibin interroge l'humanité profonde des êtres. A-t-on le choix de nos actes ? Par quoi sont dictés nos choix ? Les croyances, la tradition, le carcan de la structure sociale, ou serait-ce le rejet, la vengeance, le besoin de plaire, la peur de la solitude, de la mise au ban, le désir ? Quid de la liberté ?

On peut lire aussi Maison des Rumeurs comme un récit d'aventures pittoresque écrit avec précision et fluidité, plein de rebondissements, de drames, de trahison, de manipulations, d'amour, de loyauté et de haines, tissé de personnalités et de sensibilités finement ouvragées, des incarnations bouleversantes dans une composition d'envergure. J'ai énormément aimé cette oeuvre, sous toutes ses coutures ! Décidément, Colm Toibin est aussi bon dans tous les registres. Je l'adore.

« Je vais mourir, il ne peut en être autrement. Je n'ai pas le droit d'être amoureuse de la vie. Aucun d'entre nous n'a le droit d'être amoureux de la vie. Qu'est-ce qu'une vie ? Il y en a tant. Tant d'autres, semblables à nous, viendront et vivront. »
Lien : https://lettresdirlandeetdai..
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