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Critique de Klasina


Romanesque, philosophique, passionnante lecture. Tels sont les mots qui viennent après avoir refermé ce livre, aux pages épaisses, et qui ont fait germer dans l'esprit tant d'émotions que de réflexions.

Plusieurs niveaux de lecture se dégagent :

- le point de vue humain, ontologique.

La description des sentiments des personnages est profonde. Tolstoï dénoue les fils complexes de la personnalité humaine. Les motifs des personnages sont connus, leur passion, leur joie, leur désespoir, sont éclairés par l'auteur tout en mettant en avant les contradictions complexes. Par là, on peut noter une promiscuité avec ces personnages, une identification.

Les personnages principaux qui dirigent le roman peuvent apparaître aussi comme de possibles identifications. Ils sont vivants, ils évoluent comme nous tous, au fil de leurs expériences.

Le prince Andrei Bolkonski, aux idéaux profonds peut être associé à un héros romanesque. Sa femme, Liza, meurt, après avoir mis au monde Nikolai, le fils d'Andrei. Alors qu'on avait attribué à Andrei une mort imaginaire, il voit pour la dernière fois sa femme, et celle-ci meurt. Une dimension tragique est donnée au personnage d'Andrei. Il est fréquemment à la guerre, a un sens accompli du devoir.
A cet égard, il est mentionné qu'il lit Kant, très connu pour son impératif catégorique ( « Agis de telle manière que la maxime de ton action devienne une loi universelle »). Il est blessé, à plusieurs reprises. Par là, il est amené à s'interroger sur le sens existentiel de la vie. Andrei est tourmenté par le sens. Si tôt, il désespère et tout est malheur, désespoir, absurdité, si tôt il reprend espoir, et tout est joie, plus vif, plus intense.
Lié d'amitié avec Pierre Bézoukhov, il rejoint la loge franc-maçonne, et tente d'accomplir des bienfaits. Andrei connait une romance avec Natacha Rostova, mais il est répudié après une attente d'un an. le prince se rend compte qu'il a été trop idéaliste, croyant qu'elle ne pouvait aimer que lui. Andrei, plutôt que de vouloir les glorieux titres de guerre, les chefs de commandements, il préfère rejoindre les régiments, là où ce sont véritablement les hommes qui orientent le sens de la guerre.

Pierre Bézoukhov est un mystique, qui est rongé par le doute. Au début du roman, il semble athée, enclin à la débauche, au jeu. Il entre dans une quête existentielle, pris dans ses doutes, ses trébuchements. Il reprend certes foi avec la loge franc-maçonne, mais il doute toujours, jusqu'à ce qu'arrive l'épreuve de Dieu : il est fait prisonnier en 1812 par les Français occupant Moscou. Pieds nus, il partage ses biens, ses vêtements avec les autres détenus, et fait tout pour le bien d'autrui, avec compassion et amour du prochain. Cette épreuve n'est pas sans rappeler les écritures des Evangiles, et au-delà le message du Christ : donner à l'autre, faire don de soi, et l'amour du prochain, même dans le dénuement. Pierre cherche le progrès pour les paysans, à abolir le servage. Cette épreuve a été selon lui la plus grande joie de toute sa vie. Elle a été lumière de Dieu.

Natacha Rostova incarne la quête de l'amour, enclin à des tourments. Amoureuse de l'idée d'amour, elle a beaucoup de "prétendants" dans la jeunesse. Car renoncer à un, c'est renoncer à tous les autres. ( Un rappel peut-être de Don Juan, qui aime la femme, en général, Natacha, c'est l'amour, grande idée qu'elle aime. La tradition romantique montre un Don Juan en quête d'un idéal, mais il ne le trouve pas). Peut-être est-ce une quête, un idéal à atteindre. Elle est remise en cause, sur la voie de Dieu : Natacha ne veut pas faire le mal. Quand elle répudie la demande du Prince Andrei, elle s'en remet à Dieu, prie avec ferveur à la messe tous les dimanches. Sa quête prend fin avec Pierre, qui lui ressemble, dans le tréfonds de son âme.

Nikolai Rostov est nourrit par les idéaux, il se rend à la guerre, et rencontre la peur de la mort, l'angoisse. Son premier amour avec Sonia est rempli de promesse. A la fin, Nikolaï avance aussi sur le chemin de Dieu. Il aide la princesse Maria, quand elle a dû quitter la demeure de son père mort, Lyssé Gory menacée par les troupes napoléoniennes. Il aide la princesse, avec attention. Il se marie avec elle à la fin du roman, avec Maria, archétype de la religieuse dévouée. Encore un pas vers Dieu, et qui ouvrira la porte de la lumière de Dieu.

Tous les personnages convergent vers Dieu ( en tout cas, ces personnages-ci).

Guerre et paix attache particulièrement une place à Dieu. Pierre, en proie à une douloureuse interrogation existentielle, rejoint la loge franc-maçonne, oeuvrant pour le progrès de l'Humanité. Dès lors, c'est une révélation, il voit le christianisme pur, débroussaillé de l'ombre de l'Eglise, qui cachait sa véritable essence.

La place du bien est omniprésente. Pour ne citer quelques exemples : quand, Natacha, aide volontairement des blessés, pendant l'occupation de Moscou. Elles les installent dans sa demeure. Pierre, qui veut à tout pris abolir le servage. La princesse Maria, soeur d'Andrei Bolkonski, est l'archétype même de la religieuse, dévouée, sacrifiée. Elle consacre sa vie à son père jusqu'à ce qu'il meurt. Et même quand il est sévère avec elle, elle pardonne, et elle l'aime toujours. Elle remet tout sous la volonté de Dieu.

- le point de vue sociétal : critiques et réflexions sur la société russe du XIXe siècle.

Tolstoï n'hésite pas à critiquer et à montrer l'hypocrisie qui règne dans les conventions aristocratiques. La noblesse tsariste est préoccupée par les salons, les fêtes, les bals, les successions, les mariages, et enfin, les dettes. le Salon d'Anna Pavlovna, archétype de l'aristocrate mondaine, pointue sur les conventions est un bel exemple. La vie aristocratique, d'apparence est le règne de l'extériorité, en outre la superficialité. Elle reste immuable, même en temps de guerre, et même des années plu tard. Bien sur, elle est aussi le siège d'arguments politiques.

Les réflexions sur la société sont aussi politiques. On rencontre les questions clés sur la monarchie parlementaire, la division en plusieurs groupes : les libéraux et les « monarchistes » de l'époque de Catherine II, autrement dit entre les nouveaux et les anciens. La figure de l'empereur Alexandre Ier, est mise en lumière.

Enfin guerre et paix de Tolstoï, c'est une réflexion sur la guerre et la paix. La dimension humaine de la guerre est évoquée : ce passage de la ligne qui mène dans un autre monde, celui de l'angoisse, de la souffrance et de la mort. Les soldats éprouvent cette crainte face à la guerre.
Le rôle individuel des foules, des soldats dans l'histoire, dans un événement historique est mis en avant. Tolstoi prend l'exemple du mécanisme de l'horloge, chacun est une partie dans un tout, et ce n'est pas une seule personne qui décide du sort de la guerre.

Tolstoï porte un regard sur les hommes de guerre, dans les régiments, les chefs d'état major. Ils sont en proie à de recherche de grades, à des récompenses. de même, il montre le désordre qui règne à la guerre, les problèmes de coordinations, la peur qui prend le dessus sur le soldat, et qui peut mettre en échec une campagne. Pour Tolstoï, par le prince Andrei, la guerre est un jeu : à qui se fera peur en premier. Tolstoï s'interroge aussi sur l'absurdité de la guerre, tous les hommes qu'ils soient Français, restent des êtres humains.

Enfin, Tolstoi, pointe l'héroïsme et le patriotisme. Napoléon déçoit, il est démystifié. Quand les soldats le voient, ils se rendent compte qu'il n'est qu'un homme comme les autres. Il n'est pas un grand homme hors du commun, faisant exception à la règle de l'Humanité. de même, le tsar Alexandre, fait preuve de fragilités. Nikolai Rostov finit par se défaire de cette idéalisation. Pierre, fervent admirateur de Napoléon au début du roman, devient indifférent à ce grand homme. Pétia, le frère de Nikolai, est le jeune, qui adule le tsar, prêt à tout pour se battre pour la patrie et pour le tsar. Tolstoï montre la passion débordante de ces gens là. Quand le tsar jette des biscuits, la foule s'empresse, folle et sauvage. Tolstoi n'approuve pas totalement ce patriotisme, et l'héroïsation.

Par conséquent, Tolstoi, porte un regard sur les épopées napoléoniennes qui ont tant inspiré les héros romantiques. Il souligne le décalage entre le mythe et la réalité.

Conclure sur une telle lecture, est-ce possible ?

Il y a un je ne sais quoi d'ineffable dans la littérature slave, une ambiance particulière, une façon autre de vivre, et d'écrire. Guerre et paix, comme Anna Karénine, sont des échos, qui résident dans le coeur de chacun. Ils ont une spécificité qui en font des chefs d'oeuvre, par la profondeur de la psychologie humaine, par la justesse des mots, c'est l'âme que vient chercher Tolstoi. Au delà, c'est l'âme russe qui vibre, dans ces envolées de sentiments.

Ouvrir Guerre et paix vaut la peine, tourner ces mille pages pour se laisser emporter dans la valse russe du XIXe siècle.

NB : l'édition points est la plus romanesque des éditions : les réflexions philosophiques trop longues ont été supprimées. Pour ceux qui souhaitent avoir un récit plus " épuré", je vous suggère cette édition.

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