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Critique de Sachka


"Il n'y a pas de ciel, ni d'enfer, jamais, nulle part, je te le promets. Et elle reprend sa rengaine. La vie est belle ! triste et belle ! C'est tout ce que je sais."

Dans la famille "Vive les embrouilles" je demande le père : Mour. Comédien amateur (raté ?) aspirant écrivain formé en HP grâce à l'art-thérapie, c'est un bon gars malgré un lourd penchant pour la bouteille, un certain laxisme dans l'éducation de ses deux rejetons et quelques manquements à l'égard de madame que nous lui pardonnerons car la vie n'a pas été tendre avec lui.

Dans la famille "Vive les embrouilles et la débrouille" je demande la mère : Sonia. Son avenir est à l'image de son passé : pas vraiment radieux, si jeune et déjà marquée par les excès, elle devance largement monsieur en mélangeant alcool et drogues dures. Suite à un accident de scène elle se retrouve salement amochée : un oeil crevé et une patte à la traîne qui la laisseront hagarde et en vrac à mi-chemin de ce récit.

Dans la famille "Vive les embrouilles et la débrouille, est-ce que tu crois que Dieu existe ? Car si Dieu existe il doit protéger tous les enfants sans exception" je demande les deux fistons (dont nous ne saurons pas les petits noms). L'aîné : ado mutique, semble porter toute la misère du monde sur ses frêles épaules. Il faut reconnaître que sa venue au monde n'a pas été des plus simples puisqu'il est né à la sauvette sous un pont d'une route d'Europe, de son jumeau nous ne saurons rien même si certains sous-entendus laissent supposer qu'il a été placé dans une maison spécialisée. Quant au petit dernier qui est encore dans les langes, on va espérer mieux pour lui, même si abruti de somnifères il ne perçoit pour l'instant pas grand chose du monde qui l'entoure.

Dans la famille "Vive les embrouilles et la débrouille, est-ce que tu crois que Dieu existe ? Il a quand même permis que tous les hommes aillent au bordel" je demande la tante : Monika. Ah cette Monika elle est baignée de lumière et ne laisse pas les hommes indifférents, pour se sortir de la misère la belle a fait ses classes à Amsterdam derrière une vitrine et depuis elle gère un bordel (U Paručky) à Městečko.

Voilà pour les présentations de la petite famille originaire de Tchéquie avec laquelle nous allons vivre quelques péripéties pour le moins rocambolesques. Nous sommes en 2015 et nous sillonnons dans un premier temps les routes d'Europe à bord du van de Mour avec madame et les enfants au gré des festivals de théâtre dans l'espoir de quelques représentations dignes de leur talent. Destination Bristol en Angleterre durant le festival consacré à l'oeuvre de Shakespeare puis nous rallions la France et l'Espagne quand soudainement Mour et Sonia décident que le temps est venu de rentrer en Bohême pour se refaire une santé (madame en a grandement besoin et les représentations se font rares) mais hors de question pour la petite famille de rentrer sans avoir fait un arrêt au préalable dans le Donbass en guerre pour y récupérer un Gérard Depardieu sorti de nulle part mais plus inspiré que jamais et surtout chargé comme il se doit en caisses de Beaujolais car finalement rien de mieux qu'un barbecue improvisé dans la campagne pour détendre l'atmosphère. Mais les choses ne vont pas se passer comme prévues : aussitôt arrivé dans le village de Poříčí nad Sázavou dans la maison du paternel de Sonia, le pauvre Mour -pour des raisons que je ne dévoilerai pas, la quatrième de couverture s'en charge très bien- doit prendre la fuite avec les deux enfants et laisser Sonia sur le carreau à l'hosto, avec un seul but : celui de rejoindre coûte que coûte le bordel de la tante Monika à Městečko

C'est donc en auto, en moto, en pétrolette, en bateau, en radeau, à pied à travers la campagne et dans les marais de la Sázava que nous faisons la connaissance d'une ribambelle de personnages, des marginaux, des éclopés de la vie avec lesquels nous taillons la route et c'est ainsi que de cabanes en campements de fortune nous rencontrons un candidat au suicide : Broněk ; un pêcheur : Šupina dit "tonton Šupina" ; une sirène : la belle Světlana qui elle aussi se rend au bordel de Monika pour y célébrer ses noces avec Kája ; un maître d'école (qui un temps fut celui de Mour) : Lojda dit "le Capitaine" et autant de personnages atypiques et attachants qui nous offrent un récit palpitant et sans temps mort agrémenté de descriptions poétiques de toute beauté qui viennent contrebalancer avec le langage cru et décomplexé de Mour et de Sonia qui faute de pouvoir monter sur les planches nous jouent une véritable comédie pleine d'humour noir qui n'est autre que celle de leur vie. On sourit, beaucoup, la balade bucolique de Depardieu dans la campagne est hilarante ; on pleure aussi, le portrait de la mère de Mour, vieille bique alcoolique pleine d'amertume est édifiant mais pour autant ce roman n'est absolument pas triste bien au contraire et même s'il est vrai que la misère touche l'ensemble des personnages c'est l'entraide et la générosité qui priment car sur les berges de la Sázava on aide son prochain sans poser de questions et si jugement il y a, on s'en remet à Dieu ou alors on prie la Sainte-Madone de Poříčí, la vierge des espérances et puis surtout on n'oublie pas de trinquer à l'amitié, aux retrouvailles car c'est l'alcool qui réchauffe les coeurs et apaise les rancoeurs. Et si de personne sensible il est question, pour ma part je n'en vois qu'une seule et c'est le personnage qui m'a d'emblée touchée : c'est le fils aîné qui fait presque office d'extra-terrestre dans ce récit où tout le monde braille, a toujours quelque chose à dire et à revendiquer. Silencieux de la première à la dernière page, il jette un regard ébahi sur le monde qui l'entoure, un regard grave, bien trop grave pour un enfant de son âge.

Un roman fort qui ne peut laisser indifférent et qui soulève des thèmes tels que : la survie, l'exclusion et la misère sociale, l'insécurité économique et culturelle, les dérives du populisme. Un roman dans lequel chacun est conscient de sa propre misère, les pleurs et les lamentations laissent toutefois place aux rires et à la joie car rire c'est vivre malgré tout sans pour autant oublier les drames qui se cachent derrière les masques comme les évènements de 1968, la répression du Printemps de Prague, l'invasion soviétique, qui sont ancrés dans les mémoires à l'image de ce tank qui orne fièrement la couverture et nous promet un final explosif !

Je remercie mon ami Guy (Glaneurdelivres) grâce à qui j'ai découvert la très belle plume de Jáchym Topol et je vous invite à lire sa critique.


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