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Critique de Malaura


Au pied du Mont Fuji, au Japon, s'étend une forêt sombre et maléfique, un enchevêtrement de branches, de racines et de lianes où les rayons du soleil ne pénètrent jamais. La seule évocation de son nom inspire l'effroi et le chagrin.
En raison des nombreux morts qui y sont recensés chaque année depuis des siècles, les gens l'ont appelée Aokigahara, la forêt des suicidés. En effet, nombreux sont ceux qui viennent se perdre dans le tumulte de ses branchages pour en finir avec la vie. On dit qu'on peut entendre parfois les fantômes de ces désespérés gémir dans le vent.
Aokigahara, est une forêt maudite, une forêt hantée…

Ryoko le sait, elle qui parcourt chaque jour les sentiers embroussaillés de cette végétation dense et ténébreuse, jalonnée d'ossements et de cadavres en décomposition. La jeune garde-forestière n'ignore pas le pouvoir d'Aokigahara et la troublante fascination que sa beauté spectrale exerce sur les êtres. Son père, lui aussi garde-forestier, s'est à jamais perdu dans ce labyrinthe végétal. Son corps n'a jamais été retrouvé.
Ryoko connait bien ces esprits maléfiques qui rôdent, pleins de haine et de ressentiment. Ce sont les âmes errantes des malheureux suicidés. Incapables de trouver le repos, ils attirent les gens pour qu'ils se tuent à leur tour dans les méandres de la forêt. « La souffrance, la solitude sont immenses en ces lieux, la peur, la douleur, le chagrin ne s'estompent jamais ».
Quand les garde-forestiers découvrent un nouveau cadavre, Ryoko pratique alors les rites de purification des anciens, selon la tradition shintoïste bouddhiste, afin d'apaiser l'âme tourmentée du défunt et faire en sorte qu'il repose en paix. Mais nombreux sont les « Onryo », les esprits animés par le ressentiment, la colère et la soif de vengeance, qui continuent de hanter la vaste forêt, appelant les vivants, les attirant à eux, tentant de les entraîner dans le désespoir pour se repaître de leur souffrance, de leurs remords et de leur chagrin.

Alan est un jeune américain installé au Japon depuis quelques années. Lorsqu'il rencontre Masami, le coup de foudre est immédiat. Mais au bout d'un an, le couple se déchire et Alan, à bout, se décide à quitter définitivement la jeune asiatique, une décision que Masami n'arrive pas à accepter. le sentiment de vide et d'abandon qu'elle ressent la pousse à diriger ses pas vers Aokigahara où là, désespérée, en proie à la plus grande détresse, la jeune femme se pend.
Cependant, son âme déchue, profondément tourmentée, a soif de vengeance et de représailles. Poussé par « un tsunami de rage que rien ne peut arrêter », le fantôme de Masami réclame la mort, la douleur et la peine comme châtiment.
Masami appelle Alan de toute son âme perdue, elle veut le faire sombrer dans la folie, elle veut qu'il la rejoigne dans la mort. Incapable de résister à la voix qui hante son cerveau, qui heurte son crâne encore et encore comme un tambour de funérailles, Alan, dirige à son tour ses pas vers la mer d'arbres d'Aokigahara…

La culture japonaise est truffée de légendes effrayantes, d'histoires de revenants et d'esprits vengeurs. Ce ne sont que des histoires à faire peur, des contes à dormir debout… Oui, mais avec « Aokigahara, la forêt des suicidés », les deux acolytes Juan El Torres et Gabriel Hernandez ont campé leur histoire dans un endroit qui existe réellement, un lieu dont la réputation inquiétante n'est pas usurpée au vu des nombreux cas de suicides dénombrés chaque année.
Sur Internet, les photos qui ont influencées l'élaboration de l'ouvrage sont bien visibles et alimentent doublement ce fort sentiment de trouble, entre répulsion et fascination, que l'on ressent à la lecture de cet éprouvant mais superbe roman graphique: les panneaux à l'entrée prônant la vie et exhortant à la prudence, les vestiges des corps en décomposition, les cadavres des pendus, les ossements jonchant le sol, les racines noueuses jaillissant de la terre, les arbres torturés…

On se souviendra du « Projet Blair Witch » et de l'effet saisissant que ce film, tourné caméra au poing, avait occasionné à l'époque, générant l'impression menaçante de ne plus savoir différencier le vrai du faux, de naviguer dans un monde où la frontière entre fiction et réalité n'existait plus.
Le ressenti est identique devant « Aokigahara, la forêt des suicidés ». Un sentiment de réalité doublé de gêne, d'inquiétude, de curiosité morbide.
Force est de constater que les deux auteurs ont particulièrement bien rendu l'atmosphère sinistre d'Aokigahara, le climat pesant et perturbant qui y règne, l'impression de « présence » qui se dégage de ses sous-bois.
Les couleurs vous sautent au visage, vous griffent et vous encerclent dans un enchevêtrement de branches, en rouge sombre, en vert foncé, en ombres blafardes et crayeuses. La confrontation avec la mort est souvent présentée en pleine page, brutale, violente, palpable.
D'un esthétisme crépusculaire où l'espoir n'a que peu de place, «Aokigahara » vous happe et vous fait prisonnier, vous affole et vous égare dans sa forêt de traits tourmentés, énergiques et racés.

Entendez-vous vous aussi l'appel d'Aokigahara ? Pour moi, il est trop tard, « la forêt m'a appelée, la forêt m'a réclamée et emprisonnée avec tant d'autres âmes. »…

Merci à Babelio et son opération Masse Critique BD pour cette découverte.
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