AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de JustAWord


Directement publié au format poche dans la magnifique collection Totem chez Gallmeister, Paul Tremblay (à qui l'on doit déjà le chef d'oeuvre Possession) revient en France sans crier gare !
La raison ? Une adaptation au cinéma signée M. Night Shyamalan, jadis grand réalisateur à qui l'on doit quelques films mémorables tels que Sixième Sens ou encore Incassable, aujourd'hui metteur en scène inégal très loin de sa gloire passée. Sous le titre douteux de Knock at the Cabin, le récit de Paul Tremblay connaît donc une seconde vie au cinéma pour le meilleur et pour le pire. Il était plus que nécessaire pourtant de revenir au texte original — d'ailleurs récompensé par les prix Locus et Bram Stocker, un thriller tendu et terrifiant qui nous emmène au coeur de la forêt, dans une cabane loin du monde où le sort de l'humanité va se décider.
Vraiment ?

Wen a sept ans. Intelligente et curieuse, la fillette capture quelques sauterelles pour les étudier en les enfermant dans un bocal en verre.
À chacune, elle donne un nom, un caractère, un genre. Elle les humanise.
Alors qu'elle joue devant la cabane louée par ses pères, Eric et Andrew, un inconnu à la carrure gigantesque surgit de la forêt. D'abord effrayée, Wen se met à discuter avec le nouveau venu qui dit s'appeler Leonard et qui aimerait bien devenir l'ami de Wen. Tout en discutant, Leonard semble nerveux et bientôt, trois autres personnes surgissent des bois derrière lui, tous sont armés d'étranges objets tranchants bricolés à la hâte.
Leonard explique alors à Wen qu'ils ont une mission précise et qu'il est désolé de lui imposer tout ce qui va suivre. Il lui demande ensuite de convaincre ses pères et de les laisser entrer pour tout leur expliquer.
La fillette se précipite à l'intérieur et ferme la porte d'entrée avant de courir chercher Andrew et Eric. Quelques instants plus tard, des coups résonnent à la porte… et le cauchemar commence !
Paul Tremblay n'a pas son pareil pour dresser une ambiance et incarner des personnages. Il ne lui faut que quelques pages à peine pour nous prendre au piège tant son style est fluide et son récit naturellement intriguant. le mystère est au coeur de la Cabane aux confins du monde, mais pas que…
Le roman de Paul Tremblay a surtout l'idée de mettre en avant deux personnages rongés par le doute, du fait de leur sexualité et, surtout, de ce que la société moderne pense de celle-ci (et notamment aux États-Unis).
Rapidement transformé en huit-clos, La Cabane aux confins du monde oscille sans cesse entre le thriller surnaturel et le récit apocalyptique.
Paul Tremblay refuse de choisir.
Et c'est pourtant le choix qui est au centre du roman.

Impossible de vous expliquer la puissance de ce roman sans en dévoiler le coeur… et pourtant nous allons essayer.
L'irruption des quatre étrangers dans la cabane va demander à Andrew, Eric et Wen de croire. de croire en ce que disent ces quatre cavaliers de l'Apocalypse et, pire encore, en la sincérité de leur demande pour le moins… inattendue !
Paul Tremblay construit son livre comme un test. À l'heure du complotisme et des fake news toujours plus insidieuses, l'américain choisit de confronter rationalisme et croyance. D'un côté, quatre « fanatiques » et de l'autre, des personnes ordinaires. L'un, Éric, est un croyant qui s'ignore, l'autre est un athée qui remet sans cesse en question ce qu'on lui présente. L'un montre sa peur, l'autre la cache.
Très vite, et grâce à l'alternance entre les points de vue, le roman devient un piège pernicieux pour le lecteur comme pour les personnages principaux qui sont confrontés à une rupture sans précédent de ce en quoi ils croient. Des intrus chez vous vous veulent forcément du mal, non ?
Et les images disent forcément la vérité, non ?
Sauf que rien n'est ce qu'il semble être et plus le récit avance, plus le doute s'installe dans le coeur du lecteur. Et si… et si tout ça était bien vrai ?
Et si l'Apocalypse était vraiment en train de se dérouler ?
Le problème ici, comme il est posé par Andrew, c'est que rien ne vient prouver totalement cette version. Tout est peut-être coïncidence.
Faut-il trouver des connections entre tous les évènements qui se produisent dans le monde ? Et comment résister quand l'émotion prend le dessus ? Toute la question est là, à savoir la façon de résister à l'appel de la croyance quand on n'est au plus bas et qu'il ne nous reste que cela à quoi nous raccrocher. Dans l'absolu, il n'y a pas de méchants dans La Cabane aux confins du monde, il n'y a que des victimes. Et c'est certainement cela qui rend le récit de Paul Tremblay d'autant plus saisissant.
Ce qui étonne aussi, c'est sa capacité à devenir une métaphore de notre époque. On peut y voir une confrontation entre le fait religieux et l'athéisme, mais aussi entre le complotisme et la science sans même parler d'un sous-texte écologique où des climato-sceptiques sont enfin confrontés à la réalité des catastrophes naturelles qui les guettent.
La Cabane aux confins du monde est aussi un remarquable récit sur l'influence de notre propre histoire sur la vision que nous avons du monde. En cela, le fait qu'Andrew et Eric soient homosexuels est d'une importance capitale. C'est l'agression du monde extérieur, du parent à l'étranger, qui va modeler leur capacité à « sauver » le monde.
En effet, comment vouloir se sacrifier pour des gens qui, eux, n'ont jamais fait aucun effort pour ne serait-ce que vous tolérer ?
Finalement, c'est encore une fois l'amour qui sauve la mise à l'humanité. C'est le soutien de l'autre, même devant la perte la plus abominable, qui permet de ne pas tomber dans le gouffre sans fond de la croyance.
C'est aussi réaliser qu'un Dieu cruel, quand bien même il existerait, ne mériterait aucunement notre vénération.
Reste que le doute sur la nature des évènements persiste jusqu'au bout et Paul Tremblay nous tient ainsi sur le fil du rasoir tout du long.
…et on en redemande !

Thriller implacable, La Cabane aux confins du monde est un roman d'une intelligence incroyable où le moindre élément du récit viendra s'articuler pour vous faire douter le lecteur. Paul Tremblay s'interroge sur la croyance et sur notre besoin absolu de croire…et le résultat est magistral.
Lien : https://justaword.fr/la-caba..
Commenter  J’apprécie          284



Ont apprécié cette critique (27)voir plus




{* *}