AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de LaBiblidOnee


Dégotté dans une boîte à livres, qui a le mérite de remettre à l'honneur des livres oubliés, « la neige en deuil » raconte l'affrontement de deux idéaux. Celui d'Isaïe, d'abord : ancien guide de montagne, il aime sincèrement la vie en ce lieu et ses brebis, qu'il s'est mis à élever après un grave accident l'ayant laissé pour simplet ; Celui de son frère Marcellin, ensuite : de 20 ans son cadet, méprisant l'humanité d'Isaïe et prêt à tout pour partir vivre en ville loin de lui, y compris à vendre leur maison de famille.
.
Tout bascule le jour où, dans les sommets alpins en 1938, un avion venant d'Inde s'écrase, sur des pics difficilement accessibles. Les repérages aériens semblent montrer qu'il n'y aurait pas de survivant. Mais dans le village des deux frères, plus bas, une équipe de guides volontaires et aguerris décide de braver les éléments, afin de récupérer les lettres et courriers transportés par l'avion - ce qui semble être un bien noble sacrifice au vu des conditions climatiques…
.
A sa suite, ouvertement guidé par d'autres considérations, loin d'être humanitaires, Marcellin contraint Isaïe par les sentiments à les mener tous deux jusqu'à la carcasse de l'avion. Confiant en ses talents d'ancien guide, il tentera d'atteindre son but au mépris de toute vie humaine, celle de son frère comme des passagers.
.
Mais la montagne est sans pitié pour les âmes impures. Dans un décor digne de Tintin au Tibet, les fantômes et les consciences s'affrontent. Ce qui se passe à la montagne reste dans la montagne, pourrait-on dire. Mais c'est avec brio qu'Henri Troyat, en moins de 200 pages, nous en ouvre les portes et l'ambiance, soufflant le chaud et le froid dans cette atmosphère de bruit blanc : aussi chaude que l'étable emplie de lainage sur pattes, et aussi glaciale que les tombes de neige sur lesquelles il faudra bien se recueillir. A la fois simple, désuet et plus complexe qu'il n'y paraît, ce roman est, à l'exacte image de son personnage principal, très attachant.
.
« il n'avait jamais vu un avion de près. Celui-ci était de dimensions énormes. Trop grand pour les hommes. Trop lourd pour le ciel. Déchiqueté, rompu, il gisait sur le ventre dans la neige, tel une bête blessée à mort. le nez de l'appareil s'était aplati contre un butoir rocheux, l'une des ailes, arrachée, avait dû glisser le long de la pente. L'autre n'était plus qu'un moignon absurde, dressé, sans force, vers le ciel. La queue c'était détachée du corps, comme celle d'un poisson pourri. de larges trous béants, ouverts dans le fuselage, livraient à l'air des entrailles de tôle disloquée, de cuir lacéré et de fers tordus. une housse de poudre blanche coiffait les parties supérieures de l'épave. Par contraste, des flans nus et gris, labourés, souillés de traînées d'huile, paraissaient encore plus sales. La neige avait bu l'essence des réservoirs crevés. Des traces d'hémorragie entouraient la carcasse. le gel tirait la peau des flaques noires. Même mort, l'avion n'était pas chez lui dans la montagne. Tombé du ciel dans une contrée de solitude vierge, il choquait la pensée comme une erreur de calcul des siècles. »
Commenter  J’apprécie          7121



Ont apprécié cette critique (70)voir plus




{* *}