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Critique de Fortuna


Saint homme ou charlatan, Raspoutine a marqué l'Histoire de la Russie. Il avait eu la prémonition de sa fin tragique, un an et demie avant l'exécution de la famille impériale, à laquelle son personnage reste lié, jusqu'à avoir été le bouc émissaire de tous les malheurs qui accablent le pays. Il avait également prédit un avenir sombre et sanglant à la Russie dès son entrée dans la première guerre mondiale. Sa vie est jalonnée de miracles, de débauches, de scandales, de complots, de tentatives d'assassinats ; il a côtoyé le peuple tout en se faisant l'intime du tsar et de sa famille, devenant une personnalité incontournable de la vie politique. Paysan simple, homme religieux à la limite de la superstition, grand séducteur auprès des femmes, pratiquant le chamanisme, organisant des orgies à prétexte religieux, il personnifie l'âme russe dans ses contradictions, sa sauvagerie et son besoin de pureté, sa violence dont il sera la victime. Comme le montre bien Henri Troyat, c'est un personnage que seule la Russie pouvait engendrer, dans un contexte politique difficile où le tsarisme est fragilisé, la guerre fait des millions de morts et de mutilés, le peuple des villes est de plus en plus séduit par les discours bolcheviques.

Né en 1869 à Pokrovskoïe en Sibérie, Raspoutine frôle la mort dès le plus jeune âge mais la Vierge lui apparaît et il guérit. Il va vite se tourner vers la religion, fonder une chapelle où il mêle érotisme et mysticisme car d'après lui, pour être purifié il faut avoir baigné dans le péché. Il devient starets.

Il voyage beaucoup, Grèce, Russie, jusqu'à Jérusalem. A Saint-Pétersbourg, qui est son deuxième foyer, il est introduit auprès de la famille impériale. le tsar Nicolas II et sa femme, malgré l'hostilité de leur entourage, l'estimeront et le défendront jusqu'au bout. A plusieurs reprises en effet il a sauvé leur jeune fils hémophile de la mort, le tsarévitch Alexis. L'impératrice le considère comme un saint malgré les nombreuses débauches dont il est accusé : ivrognerie, sexualité débridée, charlatanisme…

Focalisant toutes les haines de l'extrême-droite à l'extrême-gauche, il est assassiné le 16 décembre 1916 (29 décembre pour notre calendrier) par cinq individus qui l'attirent dans un traquenard, dont le grand-duc Dimitri, cousin de Nicolas II et le prince Félix Youssoupov. Après avoir tenté de l'empoisonner, ils l'ont abattu de trois balles et jeté dans la Neva. Les inculpés sont jugés mais leurs peines sont très légères, ce qui fera scandale. On parle de justice à deux vitesses. le grand-duc Dimitri est exilé en Perse et Félix relégué dans sa propriété près de Koursk. Les trois autres ne sont pas inquiétés.

Malgré son intérêt, le livre de Troyat nous laisse un peu sur notre faim. Peut-être à cause de l'ambiguïté du personnage qui a suscité autant de dégoût que d'admiration, et en tout cas beaucoup de méfiance et d'interrogations.
Qui était cet homme ? Un être sincèrement convaincu d'être investi d'une mission divine ? Un imposteur profitant cyniquement du désarroi de la famille impériale ? Un mélange plus ou moins conscient des deux, profitant de son pouvoir de fascination pour user de son influence auprès du tsar et surtout de la tsarine ? Un homme du peuple soucieux de faire entendre la voix de la Russie authentique ? S'il est difficile de démêler la part des intrigues politiques, de la superstition, de la foi, de la sincérité dans l'écheveau de cette existence hors norme, il est certain que Raspoutine a continué à fasciner et inspirer les imaginations bien après sa mort. Et qu'il reste une figure incontournable de l'Histoire russe, qui a servi sans le vouloir la chute du tsarisme et l'accès au pouvoir des bolcheviks.
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