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Critique de Butylphenyl


Si la sublime mais vétuste première de couverture de Savoir Perdre n'est absolument pas représentative de ses enjeux – qui sont, eux, éminemment contemporains – son résumé en revanche laisse entrapercevoir avec justesse l'atmosphère qui y règne.

"Sous le soleil madrilène, une adolescente tombe amoureuse d'une jeune étoile du football [...] Un vieux professeur de piano, secoué par l'hospitalisation de sa femme [...] se console clans les bras d'une prostituée pendant que son fils espère oublier le meurtre de son ancien associé" Suis-je la seule à entendre une voix-off particulièrement désobligeante prononcer ces quelques phrases ? À craindre que ne s'en suive le générique de Santa Barbara ?

Argent, vieillesse, crime, immigration, addiction... L'auteur n'occulte aucun sujet. À l'inverse toutefois des feuilletons qui polluent nos écrans, David Trueba dépeint ces tranches de vie avec une habile sensibilité et crée ainsi ce que je n'espérais plus : un soap de qualité.

Savoir perdre dépeint le quotidien dans ce qu'il a de plus intime et universel à la fois : le libre-arbitre. Qu'est-ce qui fait que l'on dissimule certains de nos choix voire certains pans de nos vies aux autres ? À nous-mêmes ? Voilà ce auquel David Trueba tente, sinon de répondre, du moins de méditer. Pour ce faire, il s'appuie sur des personnages de plusieurs générations (septuagénaires, adolescents et adultes) mais aussi de divers horizons (chômeur, célébrité, expatrié, retraité). Au gré de ces portraits disparates se distingue un sentiment commun : la solitude de tout un chacun face à ce va-et-vient constant entre souffrance et félicité qu'est la vie, cette cohabitation bancale entre aspirations et désillusions, cette oscillation trouble enfin entre bassesses et magnanimités...

Savoir perdre est donc un roman introspectif où chaque personnage est confronté à son implacable conscience. David Trueba y dissèque chaque sentiment et chaque acte. Son écriture est donc majoritairement descriptive (avec un sens du détail hors du commun et, bien souvent, au ressort comique) ce qui, je pense, agacera puissamment les esprits les plus synthétiques. Dense mais incroyablement fluide, il mêle qui plus est brillamment passé et présent, récit et dialogue – sans guillemets ce qui tend à revitaliser le texte à mon sens mais contrariera peut-être là encore certains lecteurs. Souple enfin, sa plume s'adapte sans cesse à la maturité, au statut social et enfin au caractère de ses protagonistes – c'est ce que j'appelle plus communément le style caméléon.

Bien que les chapitres soient agencés de manière à déjouer toute lassitude (un chapitre = un personnage), l'auteur échoue nécessairement et malheureusement dans sa tâche. Difficile en effet de captiver son lecteur qui, nous le savons désormais grâce à moult études, dispose d'une faculté de concentration limitée, au moyen d'une intrigue qui reflète le quotidien madrilène et, à travers lui, une réalité sociale et familiale. Si pour ma part je ne me suis pas ennuyée, je n'ai pas pour autant été électrisée par Savoir perdre – qui compte tout de même quelques beaux moments. Ainsi, je pense qu'un roman d'une moindre épaisseur aurait été plus percutant ou du moins, qu'il aurait anesthésié dans une moindre mesure les propos de l'auteur.

Propos pourtant – si l'on occulte les quelques clichés (l'enfance d'Osembe notamment) – ô combien intéressants. David Trueba traite en effet des sujets tant politiques et économiques (la différence entre la corruption espagnole et argentine, les attentats de Madrid) que sociaux (la prostitution, le chômage, l'immigration) et philosophico-moraux (l'infidélité, l'individualisme). Il évoque également la géographie madrilène et, pour mon plus grand plaisir (car je vous rappelle que je suis une grande amatrice), le football de manière très approfondie (dilemmes, pressions, fugacité d'un contrat, transfert de joueurs, passeport de complaisance, relations avec la presse et les supporters, tout y passe). Savoir perdre est donc un roman résolument documenté et moderne.

On peut regretter toutefois que ces (nombreux) sujets de société occultent la problématique du roman, malheureusement uniquement effleurée par l'auteur. À la fin du roman, on comprend en effet ce qu'on savait déjà – savoir perdre, c'est gagner (en lucidité, maturité, expérience...) – mais on reste sur notre faim. Un tel titre aurait assurément gagné à être approfondi. de même pour la thématique du meurtre qui, peut-être cela dit car je lis en parallèle Crime et Châtiment, aurait mérité d'être davantage analysée à mon sens. Dans son ensemble toutefois, le roman de David Trueba propose une réflexion sinon originale du moins intéressante sur la crise des valeurs et du vivre-ensemble.

En résumé, un roman choral lucide et sensible qui fait la part belle aux femmes (peut-être un peu trop d'ailleurs !) et un portrait méticuleux de l'Espagne en ce début de siècle que seule la longueur pourra desservir.

Plus de détails (mes rubriques "n'hésitez pas si ; fuyez si ; le petit plus ; le conseil (in)utile, en savoir plus sur l'auteur") en cliquant sur le lien ci-dessous.
Lien : http://blopblopblopblopblopb..
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