AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Erik35


LORSQUE LA MONSTRUOSITÉ NE PEUT MENER QU'AU PIRE.

Une fois n'est pas coutume, je ne peux que vous conseiller la critique très juste et fort bien construite de trust_me quant au contenu du livre et à ce qu'il révèle de l'Amérique de l'époque.

Je me permettrais pour ma part quelques précisions. D'abord, que ce texte de première main dans la perception que le peuple afro-américain a pu avoir de lui-même dans la constitution de son identité est de ce fait fondamental et presque fondateur - que l'on songe en particulier aux sources multiples des luttes contre la ségrégation dans l'immédiat après-guerre. A des figures comme Malcom X et ses célèbres "Black Panther", etc -, un description rare de révolte, il est vrai, mais pas aussi isolé à l'époque qu'une certaine légende - blanche - consacrant l'idée que les esclaves noirs étaient finalement assez apathiques par rapport à leur condition et ne se révoltaient donc presque jamais. L'étude historique démontre l'inexactitude coupable de ce mythe.

Ensuite, qu'il ne faut malgré tout pas oublier que ce témoignage fut rédigé par un avocat blanc - avec la possibilité que son auteur ait agit comme un filtre dans sa rédaction à partir de notes furtivement prises par lui durant les quelques entretiens qu'il eut avec le futur condamné à mort, et ce, même inconsciemment - ayant la vision d'un virginien blanc. Se plaçant donc inévitablement du côté des maîtres, avec toutes les certitudes, les théories, les généralisations de son temps à l'égard de "la race noire" (et qui perdureront bien après, d'ailleurs).

Il semble malgré tout que la parole de Nat Turner ait probablement été respectée sur le fond, mais nous ne le saurons de fait jamais avec exactitude. Laissons cependant à cet avocat (défendant d'autres esclaves accusés d'avoir participé à la révolte) le bénéfice du doute. En revanche, ses propres annotations et conclusions ne laissent strictement aucun doute sur l'incompréhension totale quant à la nature ni à l'origine profondes du geste de Nat Turner. Que ce dernier ait été un genre d'illuminé christique se croyant missionné par le Divin ou pas n'y change à peu près rien : T.R. Gray, notre confesseur, ne fait jamais -NE PEUT INTELLECTUELLEMENT PAS FAIRE - le rapprochement en esclavage et massacre de planteurs blancs, d'autant plus que ce sont des "innocents", d'autant plus que parmi ces gens massacrés se trouvaient nombre de femmes et d'enfants. Voire de nourrissons. Ni lui, ni aucun des juges du révolté ne feront le lien, et c'est ce qui rend toute cette affaire résolument terrible et quasiment métaphorique de la situation des esclaves face à leurs propriétaires.

Il ne nous appartient pas ici de dire si un crime d'une abjection sans pareille (trois siècle de "chosification" d'êtres humains par une minorité d'autres, à des fins de production, parfois de "soulagement" sexuel, etc, doit être ainsi puni par un autre crime, passablement monstrueux dans sa planification et surtout, son exécution. Contentons-nous de constater qu'une fois encore, le crime appelle invariablement le crime.

Mais il apparaît parfaitement extra-ordinaire qu'il ne soit jamais fait état du moindre rapport de causalité. C'est pourtant ainsi que nous comprenons que toute la machine judiciaire agit, partant du principe strictement légal que l'esclavage est une chose alors autorisée par le législateur, tandis que le meurtre aggravé, bien évidemment, non. L'ensemble ayant pris forme dans un pays - le seul en 1831- aux règles pourtant résolument tournées vers un système démocratique représentatif...

L'auteur de l'excellente postface le rappelle : cette ultime révolte d'esclaves noirs (la dernière d'importance avant la guerre de sécession) aurait pu aboutir à une interdiction progressive de cette infamie totale. Il s'en est fallut de peu. Mais les intérêts économiques en jeu tout autant que le poids politique des grands exploitants du "vieux sud" en décidèrent tout autrement et aboutirent, bien au contraire, à un durcissement des lois à l'encontre de ces hommes mis en état de rebut de l'humanité par la classe dominante blanche.

Un détail, cependant, laisse à penser que ce "droit" pouvait aller à l'encontre d'une certaine morale, même honteuse, c'est qu'il fut par la suite interdit de seulement remettre en question le fait esclavagiste, de le critiquer. Lorsque l'on instaure des délits de la pensée, c'est souvent que cette dernière n'est pas bien en règle avec elle-même...

Ultime détail : Ces "Confessions" sont le point de départ d'un roman qui remporta le prix Pulitzer en 1968, et déchaîna par ailleurs les passions (ne serait-ce qu'en raison même de son auteur) : Les confessions de Nat Turner par William Styron, qui extrapole certes énormément dans son texte, mais eut cet intérêt de remettre en lumière ce moment parmi les plus honteux de l'histoire de la Nation Américaine et, par bien des aspects, de l'humanité dans son ensemble.

Un film récent en est aussi tiré : "Naissance d'une Nation" de Nate Parker, dont il m'est impossible de rien dire, ne l'ayant vu.

Ce court texte est un document "à vif", très bref mais en tout point saisissant et "essentiel", ainsi qu'on l'exprime si souvent pour ce genre de document.

Pour que cela n'arrive plus jamais...?
Commenter  J’apprécie          220



Ont apprécié cette critique (22)voir plus




{* *}