AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de gruz


Admiration et colère. Deux sentiments forts qui prédominent après ma lecture de L'été et la mer de George Turner.

Admiration face à un auteur visionnaire qui en 1987 avait vu et compris les enjeux et les bouleversements du monde à venir. Colère de se rendre compte qu'on savait dès les années 80, qu'il était possible d'agir, mais que rien n'a été fait.

Voilà une riche idée des éditions Mnémos et de leur label Mu que de publier (enfin) ce roman en français, 35 ans après sa sortie initiale. Il a peu vieilli à part ce qui est en lien avec l'informatique, et le regard affûté et pénétrant de l'auteur australien vaut vraiment le détour.

1987, j'avais 19 ans. Avais-je conscience des bouleversements qui commençaient à survenir ? Hélas peu concernant la société, et aucunement concernant la planète. L'insouciance de l'adolescence sans doute, mais pas seulement… On ne parlait pas de changement climatique à l'époque.

George Turner nous démontre qu'il était déjà possible de s'en préoccuper, que le monde avait les premières clés pour ouvrir les portes d'un autre avenir.

Extrait d'un dialogue entre deux personnages, dès la page 23 du roman, situé dans un futur éloigné (mais pas tant que ça) :

« – Si je comprends bien, si j'ai suivi la trame historique de façon correcte, ils savaient ce qui les attendait, tout comme nous savons ce qui nous attend. Pourtant, ils n'ont rien fait pour y remédier.
– Ils ont sombré dans le chaos parce qu'ils ne pouvaient rien y faire ; ils avaient amorcé une séquence qui devait suivre son cours en accentuant le déséquilibre climatique. Par ailleurs, ils étaient pieds et poings liés à un réseau de systèmes interdépendants : la finance internationale, les gouvernements démocratiques, ce qu'ils appelaient la haute technologie, les stratégies de défense, la politique de l'agression permanente et le maintien d'un statu quo sur le fil du rasoir ; tout ceci les plongeait de crise en crise, chaque problème résolu étant remplacé par un nouveau ».

Le futur de l'écrivain est aussi étonnant qu'éloquent. Dans son intéressante postface il commence par dire : « Personne ne peut prédire l'avenir ». Et pourtant, des éléments étaient à portée de main (et d'imagination) pour lui permettre de réfléchir à son demain. Une société qui a vu l'effondrement du capitalisme, un chômage à 90 %, une ghettoïsation des pauvres (soit la quasi-totalité de la population), une lutte des classes exacerbée, et une planète bouleversée par le dérèglement climatique.

Une lecture anxiogène ? Oui et non. Car George Turner reste avant tout un raconteur d'histoires. Son roman n'a rien d'un pamphlet, et s'il nous ouvre les yeux sur la situation, il conte surtout le destin de la famille Conway, des privilégiés en passe d'être déclassés. Avec les deux fils (qui se détestent) qui ont des dons qui vont leur réserver une place de choix dans les arcanes de cette société, l'un maniant les chiffres comme personne, l'autre ayant une capacité pour le théâtre.


En 2041, le système s'est donc pris les pieds dans le tapis, accentuant à l'extrême le clivage entre les nantis et les miséreux. 10 % de la population détient l'ensemble des richesses, ça ne vous dit rien ? Les autres vivent dans la crasse, mis sous perfusion par les gouvernements, laissés-pour-compte. D'un côté les Stables, de l'autre la foultitude des Souilles, qui théoriquement ne se côtoient pas. L'occasion d'intrigues, de machination et autres magouilles qui vont être le sel de ce récit.

L'effet de serre et la ruine du système financier (et donc économique), une pseudo démocratie où on parque les pauvres leur donnant le minimum vital pour éviter qu'ils ne se révoltent et en espérant que n'émerge pas un leader capable de les soulever. le cadre est sombre, mais propice à raconter une fiction profonde.

Voilà le genre de science-fiction que j'aime, anticipant, crédible, au plus près des personnages. C'est leur histoire dont il s'agit, avant celle du monde dans lequel ils doivent (sur)vivre.

L'écriture est soignée, offrant un divertissement qui fait sens et qui sait donner vie à ses protagonistes, fouillant profondément les psychologies. On n'obtient pas le prestigieux Prix Arthur C. Clarke, par hasard.

Le récit est dense, parfois un peu lent, il demande qu'on s'y immerge pour bien profiter d'une intrigue qui réserve des surprises, tout en réfléchissant à cet avenir dessiné avec brio. Dommage que le final soit trop expédié à mon goût.

Des messages qui portent, une anticipation qui éclaire, des personnages forts développés au sein d'une vraie histoire, L'été et la mer est un roman surprenant, sauvé des méandres du passé. George Turner ne se qualifiait pas de visionnaire, il n'empêche que sa capacité incroyable à penser le futur force le respect.
Lien : https://gruznamur.com/2024/0..
Commenter  J’apprécie          290



Ont apprécié cette critique (29)voir plus




{* *}