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Critique de Ileauxtresors


Il était une fois un écrivain de génie… Mark Twain a inventé de belles histoires, pleines de personnages attachants, de péripéties et de dialogues irrésistibles – Les aventures de Tom Sawyer et celles de Huckleberry Finn figurent sans aucun doute parmi les lectures les plus marquantes de notre petite famille. Imaginez-vous un peu la chance des filles de notre écrivain pour qui il inventait quotidiennement des histoires ! C'est ainsi qu'un beau soir de 1879, Mark Twain imagine une histoire aux allures de conte : dans un lointain et étrange royaume, Johnny, un jeune garçon dépourvu de tout est contraint de se séparer d'une poule qui est sa seule amie. La suite de l'histoire implique une mystérieuse vieille dame, des graines magiques, un prince, les animaux les plus inattendus et deux dragons… Si les histoires du soir de la famille Twain n'ont malheureusement jamais été documentées et ont disparu avec elle, l'écrivain a eu la présence d'esprit de consigner l'essentiel de la trame de celle de Johny sous forme de notes griffonnées.

L'enlèvement du prince Oléomargarine est le fruit du talent de Philip et Erin Stead, écrivain et illustratrice, qui ont entrepris de reconstituer le récit. L'objet-livre est de très belle facture, avec une belle couverture magnifiquement illustrée, un titre intriguant – et bien sûr, la perspective de découvrir une histoire inédite de Mark Twain ! Nous nous sommes donc plongés avec avidité dans cet album dont la lecture a été riche d'impressions.

La principale, surprenante, a été celle de retrouver la manière d'écrire de Mark Twain. Si, à la lecture de ses romans, mes garçons s'étaient surtout délectés des bêtises de leurs galopins de protagonistes, j'ai pour ma part pris conscience en les relisant avec eux de la vive critique sociale qu'ils expriment et qui confine souvent à la satire – qu'il s'agisse de l'hypocrisie morale de la société américaine, de la ségrégation sociale et raciale, de la violence éducative, ou encore de la prégnance des superstitions les plus farfelues... Comme je l'expliquais dans la chronique consacrée aux Aventures de Tom Sawyer, j'ai pu craindre d'avoir initié cette lecture un peu trop tôt. J'écrivais ainsi : « le roman n'est pas construit autour d'une intrigue progressant de façon linéaire, mais plutôt par l'enchevêtrement de plusieurs lignes narratives développées en séquences irrégulières et interrompues par des chapitres plus descriptifs dans lesquels Mark Twain ironise, dans un langage fleuri, sur l'école du dimanche, les remèdes de charlatan de la tante de Tom ou encore la cérémonie d'examen à l'école. […] Rapidement convaincue qu'Antoine et Hugo percevraient ce type de passage comme rédhibitoire et se décourageraient vite, je dois reconnaître que je me suis trompée. Passionnés par les différentes intrigues, ils se sont impatientés à deux ou trois moments, mais n'ont jamais souhaité interrompre la lecture. Et la tension narrative monte en puissance à la fin du livre, si bien que nous n'avons pas regretté du tout ce choix de lecture. Par contre, de nombreuses explications étaient nécessaires et je ne pense pas qu'ils auraient été capables de se lancer eux-mêmes si je ne le leur avais pas lu.»

Il me semble que l'on pourrait dire des choses très similaires de L'enlèvement du prince Oléomargarine. L'histoire est pleine d'imagination, de revirements et de générosité ; les illustrations d'Erin Stead sont somptueuses et d'une sensibilité un peu sauvage ; Johnny nous donne une belle leçon de simplicité, de gentillesse et de résistance face à la tyrannie. Mais le texte est très exigeant pour de jeunes lecteurs : les phrases sont longues, le vocabulaire délicieusement riche, la critique sociale omniprésente et le récit volontiers interrompu par des échanges imaginaires entre Philip Stead et Mark Twain. le procédé est ingénieux, lorsque l'on est chargé d'une tâche aussi impressionnante que de redonner au corps à un texte d'un monument de la littérature ! En intégrant au récit la conversation qu'il aurait pu avoir avec Twain sur le cours de l'histoire, les scénarios possibles et leur plausibilité, Philip Stead nous associe à ses interrogations et prend une distance ironique vis-à-vis de l'exercice qui n'est pas sans rappeler certains passages des romans de Twain… Cela permet également, en représentant l'écrivain en train d'évoquer l'histoire autour d'une tasse de thé, de restituer l'histoire du prince Oléomargarine en tant que récit oral. C'est très bien trouvé, mais je crains (peut-être à tort !) que de trop jeunes lecteurs soient un peu déroutés face à cette forme de récit. Mais l'écrivain, qui a pensé à tout, semble d'ailleurs avoir anticipé ce questionnement !

« Et tu peux penser qu'une histoire peut être racontée convenablement malgré des interruptions constantes. Mais malheureusement tu aurais tort. Car cette histoire est chaotique. Et même si tu t'attends à ce que Johnny mène ses troupes courageusement dans la bataille…
- Oui !
- Et même si tu t'attends à ce que Johnny, en dépit des probabilité, en sorte victorieux et sans grands dommages…
- Oui !
- Et même si tu t'attends à ce que Johnny porte lui les leçons qu'il a apprises de la guerre pour le restant de sa vie…
- Amène toujours quelque chose à grignoter !
- … Il n'en sera rien. »

Merci beaucoup aux éditions Kaleidoscope (L'école des loisirs) de nous avoir permis de découvrir ce bel album plein de malice et d'optimisme, singulier et déroutant comme une fleur de juju !
Lien : https://ileauxtresors.blog/2..
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