Selon Wikipedia, le scandale de Cleveland Street a éclaté avec la découverte d'un bordel homosexuel dans la rue du même nom, dont certains membres de l'aristocratie ne dédaignaient pas les services et notamment le prince Albert, deuxième sur la liste de succession au trône d'Angleterre.
Wendall Utroi reprend ce fait divers en le transformant en scandale pédophile tout en gardant le sous-texte: l'aristocratie a des vices, alors que le peuple a seulement faim et ne se laisse corrompre que pour pouvoir survivre. Utroi s'appuie également sur la loi qui releva l'âge du consentement sexuel de 13 à 16 ans en 1885 et rappelle à ce propos qu'il fallut attendre 2021 pour qu'en France l'absence de consentement du mineur de moins de 15 ans soit actée.
Ces faits sont d'autant plus passionnants que la criminalisation de la pédophilie a aussi permis, par le biais d'un amendement, de condamner tout acte sexuel entre hommes, comme en firent l'amère expérience Wilde ou Turing.
Mais disons que ce roman s'intéresse assez peu à la complexité qui veut qu'une telle loi soit à la fois une avancée essentielle et une catastrophe. D'une façon générale, d'ailleurs, la complexité n'est pas vraiment son truc.
Ce qui ne devrait pas être un défaut: j'ai beaucoup de tendresse pour les héros
De Ponson du Terrail ou des Mystères de Paris, les filles perdues, les truands qui crient « Fatalitas » et les bourgeois aussi cupides que ventripotents.
Mais là, ça ne fonctionne pas. On a la naïveté sans la fraîcheur, la dénonciation sociale sans le lyrisme et les retournements de situation sans la nécessité tragique.
Heureusement, ça reste souvent drôle:
Chapitre 14, miss Britney, extraite de sa cellule pour un énième interrogatoire hésite encore à tout dire: « Vous pourriez me jeter en prison! ». Miss Britney, vous êtes déjà en prison.
Chapitre 19, Rebecca choisit pour sa fille de 15 ans un professeur particulier: « Il devait avoir vingt ans, il était grand, élancé, avait les yeux sombres, et un côté mystérieux. Elizabeth s'est vite amourachée de lui. Rebecca ne se rendait compte de rien. »
Chapitre 20, le fils demeuré explique que, s'il paraît attardé, c'est juste une couverture (pour cacher quoi? Mystère), un rôle qu'il joue depuis sa naissance, auquel rien n'aurait dû lui faire renoncer, si ce n'est le regard inquisiteur du héros.
Chapitre 22, le policier prend un fiacre et le cocher lui demande « à quel endroit [il] voulait se rendre exactement »: « Sa question ne me plut pas mais je ne lui en tins pas rigueur. » Remarquable mansuétude.
Chapitre 26, une femme a "un regard si limpide qu'on pouvait s'y égarer, et un sourire peint à l'encre de la compassion."
Chapitre 32, Elisabeth fait le mur toutes les nuits pour rejoindre Isaac « mais l'homme était un rêveur, il était resté sage ».
Chapitre 46, notre héros comprend que son supérieur l'a trahi car l'odeur « âcre et rance » de l'émissaire de la Couronne flotte à Scotland Yard, désignant ainsi ceux qu'il a subornés.
Etc.
En fait, ce qui ne fonctionne pas dans ce roman du XIX° écrit au XXI° siècle, c'est cette fausse candeur, fausse parce Utroi n'écrit pas une ligne sur les turpitudes des aristocrates anglais sans penser à l'affaire Weinstein ou au prince Andrew, faisant de son roman historique un pastiche laborieux.
C'est dommage parce que
Wendall Utroi a l'air d'être un type bien et qu'on le sent sincère dans ses indignations.
En fait, en temps normal, j'aurais abandonné ce livre. Mais hier matin je me sentais en mode pré-covid, que personne ne m'approche, je reste sous la couette avec un grog bien dosé et un truc pas prise de tête à lire.
Et bien dites donc, le soir même, j'avais fini «
La Loi des hommes » et j'allais beaucoup mieux.
Alors littérairement, c'est vraiment nul, mais je vais faire un tour sur Doctissimo pour le recommander. 5 étoiles. Au moins.