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Critique de Lamifranz


Dans la catégorie maman-baston, on avait déjà du monde : Madame Thénardier et ses attentions pour Cosette (« Les Misérables »), chez la Comtesse de Ségur, on ne compte plus les mamans/taties/grand-mères fouetteuses, fesseuse ou tapeuses, on a l'excellente Madame Lepic (« Poil de carotte ») et plus près de nous la sympathique Folcoche (« Vipère au poing »). Il en manquait une à notre collection et pas la moindre : Madame Vingtras, la mère du petit Jacques, dans « L'Enfant », premier tome de « Jacques Vingtras », de Jules Vallès. Je n'invente rien, c'est lui qui le dit :
« Ma mère dit qu'il ne faut pas gâter les enfants, et elle me fouette tous les matins ; quand elle n'a pas le temps le matin, c'est pour midi, rarement plus tard que quatre heures ».
Faisons-lui confiance, Jacques ne sera pas un enfant gâté, pas plus un adulte gâté, d'ailleurs. L'histoire de sa vie, il nous la raconte dans « Jacques Vingtras », une trilogie composée de « L'Enfant » (1878-1879), « le Bachelier » (1881) et « L'Insurgé » (1886).
Jacques est le fils d'un professeur de collège, dur et intraitable et d'une paysanne sans éducation faite dans le même métal, mais encore plus dur. Entre les coups et les cours, tous deux obligés, l'enfance de Jacques se déroule sans affection ni même signe d'intérêt. Jacques arrive quand même au baccalauréat où il est recalé. Il souhaite partir à Paris pour être ouvrier. Ses parents n'apprécient que modérément cette vocation et lui font vertement savoir. Jacques prend alors la décision de partir. Toutefois, quand son père est victime d'une dénonciation, il le défend jusqu'à se battre en duel. Emu par ce geste tendrement héroïque, le papa devenu cool le laisse partir.
A Paris, Jacques fait son apprentissage. Il connaît la misère, exerce des petits métiers pour survivre, multiplie les déboires sentimentaux, mais rien n'entame sa foi républicaine (il s'oppose violemment au bonapartisme), il défend les pauvres et les déshérités avec compassion et enthousiasme (et pas mal de naïveté) et se lance dans le journalisme.
Pendant la Commune Jacques trouve un combat à sa portée. Il vit au côté des Communards les pires moments de la Semaine sanglante et de la répression versaillaise, et manque d'y laisser la vie.
« Jacques Vingtras » est une oeuvre en grande partie autobiographique. Pas entièrement (Jacques est fils unique et Jules avait quatre frères et soeurs, dont l'une internée par son père), mais on notera cependant que tous deux ont les mêmes initiales : J. V. Et l'impression de « vécu » est tellement forte qu'elle ne laisse pas de doute sur cette enfance pauvre et malheureuse. Puis les deuxième et troisième parties, prenant appui sur cette misère originelle, vont affiner une conscience politique, républicaine et même socialiste, qui prendra tout son sens dans le soulèvement de la Commune. C'est donc sur une tendance fortement sociale que se termine la trilogie, passant d'une destinée individuelle à une destinée collective. En ce sens, on peut parler aussi d'un roman de formation.
Le ton employé par Jules Vallès est extrêmement curieux : on y sent en même temps de la naïveté et de la dérision, du ressentiment et de la compassion, il y a des moments de lyrisme, parfois des envolées enthousiastes pour les insurgés, revanchardes et violentes pour les adversaires… L'ensemble baigne dans un réalisme cru, où prédomine l'atmosphère de misère physique, morale et sociale, mais avec de temps en temps des touches d'humour ou de dérision, ainsi que (rarement) quelques passages de tendresse.
« Jacques Vingtras » est un roman attachant que l'on peut considérer également comme un témoignage sur une époque, où l'éveil des consciences politiques s'effectuait plus rapidement que l'évolution des moeurs et des habitudes sociales…
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