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Critique de Smallisbig


Suite du Jardin de Suldrun, La Perle Verte continue les péripéties et intrigues, sans cesse renouvelées, des Isles Anciennes, et nous fait découvrir un peu plus les peuples et coutumes de ces îles en voie d'être englouties. On y retrouve principalement les mêmes personnages du premier tome et, comme dans ce dernier, les points de vue sont variés, changeants, tout comme l'atmosphère qui ressort du livre dans son entier : sa première partie, très centrée sur la géopolitique, la logistique militaire et le rationnel, se démarque de l'air sauvage et magique qui imprègne sa seconde partie.

Une certaine préférence est cette fois-ci accordée au point de vue d'Aillas, roi de Troicinet, qui avait déjà la belle part dans le Jardin de Suldrun, en tant que mari de Suldrun et père de leur enfant, Dhrun, qu'il s'évertuait de retrouver : enfin, on le voit défaillir et perdre, très légèrement, son armure chevaleresque, trop parfaite, qui le vêtait jusqu'alors. En effet, l'esprit rusé qui permit la fuite de trois esclaves du château Sank et la chute du château Tintzin Fyral, pour ensuite devenir roi de Troicinet, voit enfin ses faiblesses surgir quand il se retrouve en présence de l'objet de ses rêves - purement érotiques et fantaisistes, cela s'entend. Maltraitance, revanche et désir se rejoignent alors :

“[...] Aillas ne put réprimer un pincement au coeur de pitié et même un léger sentiment de culpabilité. Était-ce juste de faire retomber sur la tête d'une seule jeune fille la vengeance de tous les torts subis par lui ? Il se donna avec colère la réplique : Pourquoi pas ? Elle était une Ska…”

La façon de narrer employée dans le Jardin de Suldrun, si unique à Jack Vance, reste omniprésente à travers ce second livre : sorte de roman-conte médiéval empreint d'une mystérieuse magie, et la troisième personne est superbement utilisée, parfois pour subrepticement s'immiscer dans l'esprit des personnages, parfois pour rendre compte de l'état des affaires dans les Isles Anciennes. La verve de Jack Vance ne s'épuise pas, sauf peut-être durant le (trop long) épisode de Tanjecterly, qui manque de poésie, d'intérêt et d'inspiration - à l'inverse du long voyage d'Aillas et de Tatzel, qui se démarque par sa qualité qui nous tient en haleine pendant plus d'une centaine de pages.

Grande constante dans toute la trilogie : la maltraitance des femmes, qui n'a de cesse de surprendre et de choquer sous des tons légers et, parfois, rieurs:

“‘Battez-la d'importance, battez-la souvent ! Cela amènera les roses sur ses joues. Pour mettre les femmes en belle humeur, rien ne vaut une bonne volée administrée régulièrement, puisqu'elles se montrent exceptionnellement gaies pendant les intervalles, dans une tentative pour retarder la suivante de la série.' Une femme les rejoignit: ‘Cwyd dit vrai. Quand il lève le poing sur moi, je ris et souris avec la meilleure humeur du monde, car ma tête est pleine de pensées joyeuses. [...] Néanmoins, c'est Cwyd qui se rembrunit par perplexité. Comment les cancrelats sont-ils venus dans son pudding ? Où les orties domestiques poussent-elles en dehors des sous-vêtements de Cwyd ?'”

Après Suldrun maltraitée par son père au point de se suicider, après la (très) jeune fille violée par un ogre qui a bu une potion pour se rapetisser et être à sa taille, après Glyneth qui doit échapper aux pulsions érotiques de Carfilhiot, c'est au tour de Melancthe et Tatzel (et, une nouvelle fois, Glyneth) de subir les foudres de l'éros violeur de la gente masculine : ainsi, c'est le patriarcat qui se voit implacablement critiqué. Malgré leurs mille épreuves subies, les personnages féminins se révèlent néanmoins une nouvelle fois être les personnages les plus complexes et les plus intéressants du roman : Tatzel n'a rien à envier à Glyneth en termes de personnalité et de caractère; Melancthe, à la recherche de son identité, est celle qui met à l'épreuve et en mouvement Shimrod, et reste aussi mystérieuse que Tatzel.

Mais ce qui ressort avant tout de la Perle Verte, c'est une panoplie de paysages foisonnants et envoûtants, à la beauté mélancolique; c'est la présentation, non seulement d'une géographie riche, mais également de cultures donc les représentants de chacune sont fiers et respectueux des traditions. Ainsi le mystérieux peuple Ska, qu'on découvre toujours un peu plus à travers le personnage de Tatzel, toute aussi froide et orgueilleuse que ses compatriotes belliqueux. Ainsi le peuple d'Ulfland du Sud, guerroyeur et revanchard, qu'Aillas se propose de matter et de guider.

La Perle Verte a, comme son prédécesseur, quelques longueurs, notamment dans la description de ses paysages; son dernier tiers, qui se déroule à Tanjecterly, manque d'intérêt, comme expliqué précédemment. Néanmoins, le roman n'en reste pas moins un excellent livre qui ne vient que renforcer l'impression plus que positive éprouvée à la fin de la lecture du premier livre de la trilogie.
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