AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Laplumedeclementine


Les Deux Vies de Pénélope, de Judith Vanistendael est une belle bande dessinée aux illustrations colorées et crues. Elle fait subtilement référence, sans insister, à la figure mythique de Pénélope, femme d'Ulysse dans L'Odyssée d'Homère, qui attend son époux pendant 20 ans. Assiégée par les prétendants souhaitant l'épouser, la Pénélope du mythe promet qu'elle fera son choix lorsqu'elle aura fini de tisser une immense tapisserie. Pendant des années, elle tisse toute la journée et passe la nuit à défaire son travail de la veille, espérant le retour de son bien-aimé. La Pénélope de Judith Vanistendael prend le contrepied de l'héroïne mythique. Les rôles sont inversés. Chirurgienne de guerre dans une organisation humanitaire, elle part en mission pour de longues périodes, parfois des années, en laissant derrière elle son mari et sa fille tant aimée.
Lorsqu'elle rentre chez elle, elle doit se réadapter à une vie aux antipodes des horreurs auxquelles elle a assisté. Elle retrouve sa fille adolescente, qui vient d'avoir ses premières règles. Au début, nous avons une imagerie du sang particulièrement forte, avec une mise en parallèle de la jeune fille qui découvre le sang sur ses draps et une opération sanglante effectuée par Pénélope à Alep, pour tenter de sauver une enfant de l'âge de sa fille. le fantôme de cette dernière la hante lors de son retour, petite poupée ensanglantée se cachant dans ses bagages, dans sa poche...
Le décalage entre les deux vies de Pénélope mène à des réflexions, sans jamais trancher. L'entourage de la chirurgienne s'inquiète pour elle et souligne à quel point sa fille a besoin d'elle. L'égalité homme / femme est ici évoquée car la figure de la femme considérée avant tout comme une mère est reprise. Ainsi, Pénélope répond à son psy : "Oui, il s'occupe d'elle ! Je suis sûre que si cela avait été le cas contraire vous n'auriez jamais demandé."
Le mari a accepté la situation, ainsi que la fille. Les trois personnages sont attachants et l'on assiste à de belles scènes familiales, à la fois tendres et tendues en raison de la situation. Lui, poète travaillant à domicile, se compare lui-même à la Pénélope de l'Odyssée : "C'est moi Pénélope." En homme moderne, la situation ne le dérange pas, même s'il est parfois perdu face à sa fille qui devient une femme.
Le décalage entre les deux vies est parfois intense. Se pose la question : peut-on hiérarchiser, comparer ? Face aux préoccupations de sa fille, qu'elle juge parfois superficielles, Penelope pense à la situation des jeunes filles d'Alep. Sa soeur souligne qu'une telle comparaison peut être indécente, que cela n'empêche pas sa fille d'avoir ses propres préoccupations. Pénélope réfléchit par la suite et reconnaît qu'elle est "étonnée par les jeunes des camps de réfugiés. Ils n'ont RIEN, mais ils se préoccupent de leur coupe de cheveux et de leurs fringues... Et pourquoi pas ?"
Ce livre effleure donc des questions tout en sobriété, sans trancher, sans faire la morale, sans hiérarchiser. Dessinant juste, au fil des pages, la réalité, les souffrances et les joies de chacune et chacun, à travers les points de vue des personnages. Car ce n'est pas simple.
J'ai aimé cette absence de jugement, que ce soit d'un côté comme de l'autre.
J'ai personnellement une vision de la parentalité comme d'un engagement, que l'on soit homme ou femme. Mais je trouve également que la femme ne devrait pas être réduite à un rôle de mère. J'ai donc aimé découvrir d'autres points de vue. Les illustrations sont bouleversantes et l'histoire à la fois dérangeante et pleine de bienveillance.
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}