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Critique de 4bis


Ayant profité des derniers rayons d'un soleil printanier, Adamsberg revenait juste d'une de ses errances en bord de Seine, encore vaseux de quelque idée toujours dans l'oeuf, les vêtements froissés et le sourcil froncé.
Sur son passage, Retancourt, inhabituellement soucieuse l'interrogea :
- Tout ne va pas si mal, n'est-ce pas ?
- Je crains que ce ne soit sérieux cette fois.
Adamsberg soupira et saisissant la tasse que lui tendait Estalère, s'assit au fond de la salle du Chapitre.
Un à un les membres de la brigade le rejoignirent à la grande table. La Boule fut portée des genoux de Froissy à la photocopieuse providentiellement allumée. On poussa les coussins que Mercadet avait laissés de son précédent somme. On libéra une chaise de son amas de feuilles éparses et le commissaire commença :
- C'est Fred.
Les têtes se relevèrent. Veyrenc étouffa un gémissement et Froissy se mit à ouvrir frénétiquement les papillotes en chocolat qu'elle avait apportées pour accompagner le café.
Danglard osa :
- Tu ne nous apprends rien. 508 pages de purée de pois.
- Une succession éreintante de modus operandi dialogués, ajouta Mordent
- Modi operandi, corrigea Danglard. Mais il a raison. C'est bien simple, Jean-Baptiste, on croirait que tu organises une colonie de vacances. Tu passes ton temps à indiquer à chacun où il doit aller, ce qu'il doit faire, à quelle heure, quand et quoi il doit manger. Un vrai petit logisticien. Ca te va comme un gant, tu imagines !
- Elle a fait de moi un sumo sans âme ! s'indigna Retancourt pourtant habituellement avare de débordements d'émotions. Je n'interviens que pour courir et sauter de tout mon poids sur le corps d'affreux bandits que je désarme. Alors que mon personnage recelait tant de finesse et de subtilité auparavant !
- Pauvre Violette ! compatit Estalère.
- Et ce déploiement gratuit de forces armées, renchérit Noël. Depuis quand a-t-on besoin d'hélicos, de renforts et de tout ce bordel ? Surtout quand on voit le résultat ! Tout ça pour remplir de la page !
En les écoutant, Adamsberg caressait les stries d'un coquillage qu'il avait exhumé du fond de l'une de ses poches. Il s'attachait à sentir du bout de la pulpe de chacun de ses doigts l'alternance de pleins et de creux que proposait sa convexité.
- Vous avez parfaitement raison, Noël. Et elle ne nous a pas habitués à cela. Je suis inquiet.
Danglard reprit :
- Et voyez comme elle a dilapidé Combourg. le berceau du romantisme, le charme puissant des vieilles pierres qui abritent leur lot de souffrances et de morts. le gouffre qui existe entre les bermudas des touristes à glace et l'ambition de qui proclame
Qu'il en est des douleurs comme des patries, chacun a la sienne
- La Rochefoucauld, tenta Veyrenc
- Chateaubriand, le tança Danglard. Et de cette tension potentielle, de cette corne d'abondance débordant de spectres, de machicoulis, de drapés tragiques et de mèches au vent, que fait-elle ? Rien ! Elle nous bâcle trois phrases qui ne campent pas une ambiance. Elle transforme l'aubergiste en druide de pacotille et passe son temps à nous mettre à table.
- Ah ça, c'est sûr, qu'est-ce qu'on mange ! tenta de plaisanter Mordent. Toutes les deux pages ou plus. Des pique-niques raffinés, des encas, des…
- du brocolis gratiné au roquefort ! le pauvre ! Et tout de même, placer son enquête en Bretagne et appeler la spécialité du chef « mini-crêpes », c'est suicidaire, s'exclama Froissy. Elle va se mettre à dos tous les brezhonegers !
Suicidaire. Lentement l'oeuf de l'idée qu'Adamsberg avait couvé dans ses déambulations en bord de Seine commença à se réchauffer, se fendiller peut-être.
- J'ai discuté avec un ami hier. Phil. Il a un peu côtoyé Fred, ils sont de la même branche. Il a lu lui aussi et, avec ses arguments, il nous rejoint.
- Il nous rejoint sur quoi ?
- Sur la purée de pois
- Et il en pense quoi de cette purée ?
- Qu'elle colmate tout sans rien ouvrir. D'habitude, on patauge dans un incertain nébuleux qui permet d'ouvrir des échappées. On s'enfonce jusqu'à s'envoler. Là, on ne se perd même pas. On enchaîne les péripéties comme un joueur en ligne les niveaux. On accumule des rangs de courses poursuites, des briques de meurtres et on fait des pages et des pages de murs.
- Qui nous enserrent
- Qui ne nous enfoncent dans rien de vif
- Qui ne nous envoleront jamais
- Oui
- Vous croyez que c'est fait exprès, commissaire ?
- Je me demande, Estalère. J'ai le poussin d'une idée qui s'émeut quand j'y songe.
Mercadet faisait défiler les pages de son livre sur son écran.
- Page 187, commissaire, vous « tamponn[ez] doucement les yeux de la jeune femme »
- Sans la connaître ? alors qu'elle est aux prémices d'un deuil cruel ? Comment Fred a-t-elle pu croire que j'aurais osé ?
- Page 256, devant un nième cadavre, vous qualifiez le meurtre de « l'erreur. L'erreur qu'on attendait. »
- Quelle inhumanité ! souffla Veyrenc
- Page 274, Johan se découvre opportunément goûteur dans un passé enfoui ce qui lui permet de délivrer l'information dont vous aviez besoin. Page 317, c'est Josselin qui révèle le véritable motif de ses balades à champignons et, comme de juste, ça tombe à pic pour faire avancer l'enquête. Page 350…
On ne l'arrêtait plus. Les pages défilaient de plus en plus rapidement dans la lueur bleutée de son écran.
- Je crois que l'on a saisi l'esprit de ce que vous avancez, Mercadet, le coupa Danglard. Une telle accumulation de ficelles, une telle nonchalance dans l'improbable ne peut être le fait du seul hasard. Ou de l'amateurisme. C'est un appel.
- de quel mal étrange Fred est-elle atteinte ? Quel monstre furieux
Indomptable taureau, dragon impétueux
a donc pris possession de son être ? demanda Veyrenc
- Quelle obstinée Arachné la retient prisonnière de ses soies ?
- Est-ce le ressac écrasant des piapias médiatiques ? L'éreintement d'un talent qui aura trop puisé à la coupe de nos rêves ?
Noël reposa brutalement sa tasse de café sur la vieille table éraflée.
- C'est bien joli tous vos mots, mais ça ne nous dit pas comment la sauver. Et là, on est tous d'accord, le temps presse.
- Il faut la retrouver
- La ramener à la Brigade
- On lui fait de la place
- A côté de la machine à café
- On la nourrira à la becquée
- La Boule lui ronronnera sa trame
- On la cachera
- Jusqu'à ce que ça aille mieux
- Qu'elle retrouve le fil
- de ses nuées
- Et personne ne viendra la déloger
- le secret sera bien gardé
- Entre les lecteurs et nous
- En route !
(…)
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