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Critique de Henri-l-oiseleur


"L'homme grec" est un ouvrage collectif introduit et patronné par le célèbre Jean-Pierre Vernant, qui a réuni pour sa composition plusieurs excellents historiens, compétents, lettrés et bons écrivains (ou bien traduits). L'ouvrage prend à rebours les mentalités grecques, qui reléguaient tout en bas de l'échelle des valeurs les activités économiques, en commençant par là, et par un texte de Claude Mossé, "L'homme et l'économie", analysant pour la période classique l'activité agricole et commerciale de la Grèce, naturellement ouverte sur les échanges en Méditerranée. Tout change avec Alexandre, quand le monde grec accède à des échanges et à des pouvoirs de dimension mondiale. Mais l'ouvrage étant limité à la période classique, Mossé ne va pas au-delà et n'analyse pas cette mondialisation-là. Yvon Garlan, dans son essai "L'homme et la guerre", suit les traces de Claude Mossé : la guerre, comme l'économie, est un travail, une activité aussi bien économique que politique, fortement marquée par les pratiques de citoyenneté et de domination.

Deux autres articles, "Devenir homme" et "Le citoyen", de Giuseppe Cambiano et Luciano Canfora, concernent la cité en tant qu'espace public masculin : comment on y prépare les jeunes gens par l'éducation, comment on y remplit ses devoirs comme citoyen (car la citoyenneté n'est pas un ensemble de droits, mais de devoirs, à commencer par la guerre). Ces textes font comprendre la puissante dimension politique de la civilisation et de la littérature grecques classiques. Contrairement à nous, les Grecs ne prennent pas l'ordre politique comme un donné, une fatalité qu'il faut subir : ils voient dans les régimes politiques l'action des hommes, action qui peut être changée, abolie, refaite ou inaugurée (dans les colonies par exemple). Pour eux, nul dieu ne consacre ni n'impose un ordre politique qu'il serait sacrilège de contester. Enfin, deux articles analysent l'homme grec tel qu'il apparaît peu dans les sources : l'homme chez lui, dans le domaine que régit sa femme ("Homo domesticus", James Redfield) et "le rustre", par Philippe Borgeaud. Les deux sortent du monde compétitif, politique et guerrier de la cité, et sont partie prenante du mode productif de la ferme ou du foyer domestique, propres à l'économie. Enfin, trois essais finaux abordent ce qu'en termes marxistes on appellerait "superstructure" : "L'homme grec, spectateur et auditeur" de Charles Segal, l'un des plus beaux textes du recueil à mon goût, "L'homme grec et les formes de socialité" (banquets, cultes, cérémonies civiques) par le sociologue jargonnant Oswyn Murray, enfin "L'homme et les dieux", qui étudie ce qui, pour nous, est un objet difficile, un paganisme, un panthéisme dont les principes et les pratiques sont devenus totalement incompréhensibles après 1500 de monothéisme chrétien.

On aura compris que personne ne peut venir à bout d'un tel ouvrage, tant il est dense, riche et en même temps accessible au lecteur peu instruit dans le domaine de la Grèce ancienne. On profitera de ces textes lumineux pour se débarrasser d'un certain nombre de préjugés scolaires, et pour jeter un regard neuf sur cette civilisation mère qui reste si présente aujourd'hui, qu'on le veuille ou non.
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