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Critique de CDemassieux


Le suicide français, d’Eric Zemmour, établissait, à partir d’événements spécifiques, comment on avait déconstruit la France en tant que Nation souveraine, mue par une identité propre. Mais il parlait du dehors, n’ayant jamais été élu ou membre d’un gouvernement, même s’il fréquentait les arcanes du pouvoir.
Tel n’est pas le cas de Philippe de Villiers, dont le parcours, depuis ses études jusqu’aux différents postes qu’il a occupés, aurait dû en faire un pur produit de la République. Mais sa nostalgie d’une France rayonnante l’a assez vite dessillé face au spectacle trompeur de la politique, dont il connaissait parfaitement l’envers du décor : « Un empilement d’univers corruptibles, loin des gens qui voudraient savoir, loin des yeux qui voudraient voir. »
De Villiers parle donc avec un dégoût manifeste – on le serait à moins devant ce fatras de circonvolutions mensongères qu’on nous fait avaler jusqu’à l’étouffement ! Dans tout le livre surnage une mélancolie que les esprits forts en gueule – et juste en gueule ! – qualifient commodément de passéiste pour ne pas en mesurer la douleur. Autrement dit, le bonheur obligatoire du déracinement mondial ne se discute pas : la mondialisation, tu l’aimes ou tu la quittes ! C’était à peu près le sens de ce que lui signifiait jadis, à lui et à d’autres, le technocrate Jacques Delors en ces termes : « Ces gens-là devront quitter la politique. Il n’y a plus de place pour eux dans notre démocratie. »
Comme il n’y avait déjà plus de place pour les soldats tombés en Indochine, dont certains membres de la CGT caillassaient les cercueils à leur retour post-mortem sur le sol pour lequel ils avaient donné leur vie. Il y avait, cependant, toute la place pour Georges Boudarel, célébré pour services rendus au Vietminh en s’improvisant chef d’un camp de prisonniers français, dont beaucoup moururent sous ses coups. Ce même Boudarel ne fut jamais condamné pour ses crimes et finit gentiment sa vie en France, cette France qu’il avait torturée, nous explique amèrement de Villiers.
C’est là que ce recueil de souvenirs résonne douloureusement : il pointe notre propension, aidée par un lavage de cerveau savamment orchestré depuis les bancs de l’école, à nous haïr sans complexe.
Et même s’il faut parfois tempérer les ardeurs de l’auteur, lequel ne digérera jamais la Révolution, oublieux de ses causes – la tyrannie monarchiste d’alors –, la probité de ce dernier force le respect, là où d’autres se sont vautrés dans les malversations et les petits arrangements avec des multinationales leur demandant très généreusement de ne pas entraver la marche irrésistible de l’économie sans frontières.
On croise ainsi ces personnages qui ont marqué les dernières décennies : l’inénarrable Chirac, dont le sens de l’Histoire semble s’arrêter à la bière 1664 ; le roué Mitterrand, autocrate sournois et conscient de l’être ; Soljenitsyne, l’homme brisé qui ébranlera dangereusement les convictions de ces communistes de salon refaisant le monde entre deux gorgées de champagne millésimé. Toute cette farandole d’hypocrites affairistes, de Villiers les a côtoyés. On croise aussi des briscards comme Charles Pasqua, exagérément caricaturé par d’autres de son vivant, et ici brossé sans concession mais avec une certaine affection.
Témoignage donc, et verdict sans appel, hélas : il y a quelque chose de pourri dans la République de France, nous dit en substance ce texte. A cela, l’auteur oppose sa terre, la Vendée, et son porte-drapeau, ce parc que le monde semble nous envier, évoluant en dehors du consumérisme obsessionnel : le Puy-du-Fou, rempart mémoriel qui, à sa façon, raconte ce que c’était que la France du temps où on l’appelait encore Madame en se découvrant sur son passage…
Depuis, il y a eu la « grande broyeuse », l’Europe promise au Marché mais pas aux peuples, ces arriérés sans vision d’avenir, se disent sûrement ces décideurs de Bruxelles – où « l’essentiel de ce qui se fait ne se voit pas » – qui n’ont cure de nos avis, occupés qu’ils sont à se faire flatter la croupe par les lobbyistes, et dont l’auteur nous apprend que ce derniers claquent environ trois milliards d’euros par an pour convaincre les élus européens que le business est l’avenir de l’Homme.
On peut renâcler sur les idées de Philippe de Villiers, c’est notre droit – notamment sa vision figée du christianisme –, mais on ne peut lui reprocher d’avoir cédé au système et servi sa carrière. Les faits montrent même que s’il avait courbé l’échine comme nombre de ses coreligionnaires, il tutoierait aujourd’hui les cimes du pouvoir, ce qui ne fut pas le cas.
Ce qu’il a vu c’est ce que, à condition d’observer un minimum notre environnement, nous pouvons voir : le délitement des valeurs multiséculaires, forcément suspectes, accompagné d’une destruction méthodique de ce qui fut notre identité, mot terrible ! La partie est gagnée pour les adversaires farouches de la conscience nationale : la consommation nous a rendus dociles. Ou quand l’I-Phone réussit là où toutes les dictatures ont échoué : faire taire le peuple avec son libre consentement !
Certes, ses avis tranchants sur l’IVG ainsi que sur la question de l’euthanasie, bien que je partage ses craintes sur la tentation eugéniste que cela sous-tend, sont excessifs, voire dangereux. Villiers est en ce sens un homme d’un autre âge, viscéralement attaché à la permanence des choses : or, les choses changent, c’est une loi humaine qui dépasse les convictions. Ces changements doivent seulement être tempérés par la morale, autre mot terrible pour les progressistes sans retenue !
Voilà peut-être pourquoi il ne fut jamais aux commandes du pays : il rappelait trop ce que nous avions combattu, avec une violence inouïe accumulée par des siècles de servitude, elle aussi inouïe. Mais à la différence de politiciens calculateurs, dont les convictions fluctuent au rythme de leurs intérêts, de Villiers est demeuré toujours le même, ce qui mérite le respect. Comment d’ailleurs ne pas partager certains de ses combats, tel celui contre les pesticides qui ruinent lentement mais sûrement notre terre physique ?
Vient inévitablement la question de l’islam, religion qui se nourrit de notre « faillite spirituelle » en s’y substituant avec une violence inouïe et incompatible avec notre histoire, et dont le caractère exclusif nous ronge peu à peu.
Le texte s’achève sur la Russie, honnie par des sorciers infantiles qui se perdent – et nous perdent ! – dans leurs macabres jeux politiques inconséquents : les Etats-Unis, créateurs du monstre qui vient d’ensanglanter Paris, ce 13 novembre (Daech). La Russie, bien plus solide et lucide qu’on nous la vend en Europe, qui a, comme l’auteur, compris que « l’identité est toujours la sœur siamoise de la souveraineté. »
La conclusion, pleine d’espoir, nous dit que la France peut retrouver son chemin historique, redevenir elle-même et non demeurer un vulgaire marché économique. Ce sera dur, mais : « La souffrance permet toutes les rédemptions à ceux qui luttent contre elle. »

(Publié à Riposte laïque)
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