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Critique de Charybde2


« Quelqu'un joue avec nous » : tour de force particulièrement jouissif ouvrant petits et grands abîmes, une réécriture sauvage, patiente et rusée du Magicien d'Oz, par un maître de la fiction d'informatique avancée et de transhumanisme.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/03/31/note-de-lecture-cookie-monster-vernor-vinge/

Ayant conservé une fraîcheur certaine contre vents et marées, malgré une jeunesse compliquée et un début de carrière professionnelle marqué par une instabilité certaine (« jusqu'à la semaine précédente, son job le mieux payé avait consisté à faire griller des hamburgers », soeur involontaire de la Buffy Summers de la saison 6, trimant chez Doublemeat), Dorothy Dixie Mae, après avoir passé avec succès les tests impressionnants du Professeur Reich, a intégré, avec nombre d'autres candidats, le tout nouveau service clients de la multinationale LotsaTech, leader mondial de la high tech et haut lieu de la recherche appliquée, service clients chargé fort logiquement de résoudre – avec humanité et efficacité – les multiples incidents potentiellement liés aux services et aux produits de la firme géante. Sur un campus de rêve, mais pourtant cloisonné de routes de briques jaunes fort métaphoriques, tout semble bien se passer pour commencer – jusqu'au moment où un courriel intraçable venant de l'intérieur de l'organisation, et qui lui est personnellement adressé, vient jeter le trouble : au-delà de son ton passablement agressif, voire ordurier, il contient certains détails sur sa propre enfance que Dixie Mae aurait pourtant bien juré être la seule à connaître. N'écoutant que son courage sa colère et sa curiosité, elle assemble un scooby-gang de fortune parmi ses collègues les plus proches pour tenter d'élucider ce mystère, à propos duquel elle ne sera naturellement pas au bout de ses surprises avant la fin de la novella…

Publié en 2003, lauréat du prix Hugo et du prix Locus dans la catégorie novella / roman court, fort joliment traduit en français en 2016 par Jean-Daniel Brèque pour s'inscrire parmi les premiers titres de la collection Une Heure-Lumière du Bélial', « Cookie Monster » est certainement l'ouvrage le plus méticuleusement facétieux de Vernor Vinge (décédé tout récemment, à soixante-dix-neuf ans, le 20 mars dernier), redoutable auteur de chefs d'oeuvre de la science-fiction contemporaine tels que « La captive du temps perdu » ou « Un feu sur l'abîme » (et contributeur décisif à la naissance du genre cyberpunk – qui ne constituera pourtant à aucun moment sa véritable tasse de thé – à travers sa nouvelle « True Names » dès 1981).

Facétieux en diable, notamment parce que résolument et drôlement auto-référentiel (les pages 55 et 56 de cette novella d'une centaine de pages sont ainsi consacrées à un échange à toute allure entre les protagonistes à propos des oeuvres de science-fiction traitant du sujet qu'ils sont précisément en train de vivre, avec largement autant de vertige et beaucoup plus de vivacité dans l'expression de ce paradoxe que chez le pourtant excellent Daniel F. Galouye ou même que chez « le monde sur le fil » de Rainer Werner Fassbinder qui l'adaptait pour la télévision), mais aussi parce que sa façon déterminée de rejouer « le magicien d'Oz » (quand bien même la route de briques jaunes n'apparaît qu'à la page 43, et le fait de n'être plus au Kansas seulement à la page 50) donne une surprenante épaisseur de mystère fantastique à ce concentré de hard science spéculative.

En un formidable et presque littéral jeu de piste (qui pourrait aussi bien être un jeu de l'oie) – car il est clair, comme le réalisent précocement certains des protagonistes, que « quelqu'un joue avec nous » -, jeu sérieux néanmoins où le capital high tech révèle incidemment que parmi toutes les petites mains indispensables à son développement, les doctorants et les ex-employés de fast food seront traités avec la même suprême désinvolture, on se réjouira de comprendre le moment venu le titre du roman, lorsqu'il apparaîtra que « le cookie était long d'environ un million de méga-octets » – et que la révolution, même à échelle microscopique, peut parfois être une longue affaire de patience (pas nécessairement dans l'azur).
Lien : https://charybde2.wordpress...
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