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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"En te promenant dans ton propre pays, voyant tes voisins et même ton cadavre, tu penseras douloureusement :
"me voilà donc mort" !"
(Bardo Thödol, le Livre Tibétain des Morts)

C'est la fin du monde tel qu'on ne le connait même pas.
La fin de la Deuxième Union Soviétique dont la capitale Orbise s'est effondrée. La nature a repris ses droits sur le monde dévasté par la guerre et les radiations, mais ce n'est plus la même nature. Les gens errent dans cet étrange décor, entre la sauvagerie du néant et les camps militaires dont on ne connaît pas l'emplacement exact, mais ce ne sont plus les mêmes gens.
Rien n'est comme avant. Même pas les corbeaux... surtout les corbeaux !

Dans les herbes hautes de la steppe - la valdelame-à-bouclettes, la clé-de-chine, la talmazine, l'octroie - se cachent trois déserteurs. Deux ex-vaillants ex-soldats Iliouchenko et Kronauer, et Vassilissa Marachvili. Irradiés jusqu'aux os. Vassia est mourante. Impossible de se ravitailler au kolkhoze abandonné qui est tout près, car un bizarre train militaire vient de s'arrêter devant son portail.
Kronauer va alors braver les dangers de la taïga pour chercher de l'aide. La taïga dont les mousses luisent dans l'obscurité et dont les arbres hurlent à l'intérieur de votre tête...
... et il trouve Terminus Radieux.
Un kolkhoze dont le temps de gloire est passé, suspendu entre "avant" et "maintenant"; entre "être" et "non-être". L'immortelle mémé Oudgoul y parle à la pile nucléaire en lui offrant des vestiges des temps passés, et en tournant les boutons de sa vieille radio dans l'espoir de capter encore quelques slogans de l'ancienne propagande. Il y a aussi le président Solovieï, moujik sorcier, grand marionnettiste des choses prétendument vivantes. Et ses trois étranges filles.
Kronauer va devenir une sorte d'élu qui va jouer un rôle dans le destin de Terminus Radieux, mais y a t-il encore un Destin ? Quand on se pique avec l'aiguille d'un phonographe dont les rouleaux contiennent les mélopées chamaniques du thaumaturge Solovieï, que devient la réalité ?
Sommes nous vraiment vivants, ou errons-nous dans le bardo, cet état entre deux états, entre la vie et la mort, dans une rêverie sans fin, sans durée... le corbeau vous le dira. Peut-être.

"Terminus Radieux" est une trouvaille inattendue. Je n'ai encore jamais lu un livre similaire (même le terme "réalisme magique" paraît bien fade), et ce n'est pas étonnant. C'est un roman "post-exotique", un courant créé par Volodine lui même et entretenu sous ses différents pseudos. Volodine ? Kronauer ? Tout est subtilement entremêlé entre la réalité et la fiction, le présent physique et le rêve. 49 livres de 49 chapitres (autant que les jours d'errance dans le bardo tibétain) qui vous feront entrer dans des vases communicants entre ici et là-bas. Au corbeau de vous guider, mais attention ! Il peut s'immiscer dans votre tête pour vous raconter des mensonges...

Cela peut paraître incroyable, mais si vous décidez de jouer le jeu, le livre se lit sans effort. Volodine a réussi à créer un monde très poétique non seulement dans ses évocations d'images, mais aussi dans cette mixture de l'aventure post-apocalyptique classique avec des mondes oniriques où les corps et les esprits errent pour se recroiser dans d'autres lieux, d'autres temps et d'autres contextes, pour évoquer leurs souvenirs d'autrefois. La nature, culture et littérature inventées de toutes pièces font pendant à la culture ancienne, les bylines et contes de fée russes. Palais illusoires, oiseaux magiques, trois filles, l'eau vive et les morts qui se lèvent... on a déjà vu tout ça. Même Solovieï, on l'a déjà rencontré dans le personnage légendaire de Kochtcheï l'Immortel, ou bien le Rossignol-Brigand. Il y a peut-être dix ans, peut-être mille. Qui s'en souvient ?

Cinq étoiles. Je vais me faire une tisane à la vierge-tatare, pour revenir dans le monde normal.
Adieu, corbeau... à un de ces quarante-neuf !
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