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Critique de Woland


SBN : 9791092444292

Editions : L'Atelier Contemporain - François-Marie Deyrolle

Nous tenons à remercier les Editions François-Marie Deyrolle et le site Babelio qui, dans le cadre d'une opération "Masse Critique", nous ont gracieusement envoyé un exemplaire de cet ouvrage.


Par une exception qui, depuis maintenant presque treize ans que j'assure ce genre de fiches, est la première, il n'y aura pas d'extraits pour un livre qui m'a pourtant passionnée à un point tel que je l'ai lu en deux jours. Il faut dire qu'il est difficile - ce n'est que mon avis, cela reste acquis - de donner des extraits d'un livre essentiellement consacré à une impressionnante série de gravures ayant pour thème la "Danse Macabre" du dessinateur, peintre, lithographe et certainement poète Joseph Kaspar Sattler.

Imprimée pour la première fois en 1894, cette "Danse Macabre Moderne" se composait à l'origine de treize gravures auxquelles, dans l'édition de 1914, vinrent s'en ajouter trois de plus. Pour Sattler, il s'agissait avant tout de donner sa propre interprétation de la tradition de cette danse squelettique qui domine tant d'ouvrages picturaux du Moyen-Âge.

Vincent Wackenheim a divisé en deux parties l'ouvrage qu'il avait décidé de consacrer à Sattler et une partie de son oeuvre. En ouverture, les seize gravures dont la Mort, sous sa forme allégorique, est le personnage principal, avec des remarques et l'interprétation personnelle de Wackenheim. Et puis une mise au point biographique qui nous apporte énormément de renseignements sur la vie, bien sûr, de Sattler mais aussi sur les circonstances dans lesquelles il conçut et fit imprimer sa "Danse Macabre Moderne."

Ayant été fascinée très jeune par l'allégorie de la Mort, que je croisais dans les fables De La Fontaine que je lisais, je me rappelle, auprès de ma grand-mère et dont, comme tous les enfants, j'observais avec curiosité le moindre petit détail ... hum ... anatomique, je n'ai jamais trouvé le moyen d'en avoir peur ou d'en faire des cauchemars. Si ce que j'appellerai la mort d'un être cher, cette disparition parfois subite et toujours douloureuse, me fait souffrir encore aujourd'hui, l'allégorie pure et toute simple de la Mort, ce squelette sans lequel nous ne pourrions pas faire un pas en cette vie si ennuyeuse, ne m'a, je le répète, jamais fait peur. Peut-être cela provient-il du fait que, dès la naissance - et bien que l'on ne dût l'apprendre que bien trop tard - j'étais atteinte d'une dégénérescence osseuse. En d'autres termes, ce qui symbolise la Mort dans les dessins, les peintures et jusque chez le prodigieux Terry Pratchett était chez moi mortellement atteint dès la naissance - et même avant, dans le ventre de ma mère, selon toute vraisemblance. Dans ces conditions, comment, je vous le demande, avoir peur d'un squelette ? comment même ne pas éprouver une forme de sympathie pour cet être qui est capable, lui pourtant censé représenter une entité si puissante, ressentir (et très douloureusement) la maladie dans ses pauvres os ?

C'est aussi sans doute pour cette raison que je partage très rarement l'interprétation de Wackenheim - aussi subjective que la mienne, cela va de soi - donnée à chaque gravure. Je n'en citerai qu'une seule comme exemple : celle où la Mort, vêtue de pourpre, symbole de puissance, pare le Christ en croix d'une couronne de laurier. J'ignore les sentiments que cherchait alors à exprimer Sattler mais, pour ma part, je vois en cette image cette Mort si puissante (la pourpre qui la recouvre) et pourtant si égalitaire, se hausser sur la pointe de ses os pour, en un geste d'une infinie tendresse et d'un respect qui "crève l'écran" en quelque sorte, placer la couronne du Roi des Rois bien au-dessus de la couronne d'épines infligée par ses bourreaux. Avec un peu d'imagination, on pourrait voir le crâne compatissant échanger le baiser de paix avec celui qu'il s'apprête à délivrer de ses souffrances humains.

Croyez-moi, je donnerai beaucoup pour voir l'original - mieux encore, le posséder ... L'artiste a su exprimer dans son dessin tant d'amour, de sagesse et d'intemporalité que cette image, au lieu de nous désespérer, nous redonne l'espoir.

Autre mise au point qui me semble nécessaire pour certains esprits un peu tordus : la Mort apporte ici l'espoir mais cet espoir n'a rien à voir avec le suicide. le Christ a accepté de mourir mais il ne s'est pas suicidé. Et si Sattler, dans une autre lithographie, représente un pendu (dans une sorte d'autoportrait très curieux que je vous laisse découvrir), la Mort qu'il nous restitue n'incite jamais au suicide.

Ce qui fait de cette "Danse Macabre Moderne", qui réussit si bien, en la présentant de cette façon, à rajeunir l'antique tradition médiévale (et que l'on soit d'accord ou pas avec l'interprétation de Wackenheim) un ouvrage magnifique, notamment par sa sobriété et son élégance. Il a également le mérite, dans sa deuxième partie, de rappeler l'influence qu'eurent sur Sattler Holbein et d'autres peintres allemands qui ont représenté les rêitres et autres mercenaires du Moyen-Âge et de la Renaissance. Plus proche de nous et grand admirateur, lui aussi, de l'allégorie de la Mort, le prodigieux James Ensor qui, en dépit de son prénom, était belge, si mes souvenirs sont bons - et que j'apprécie pour ma part énormément - n'est pas oublié.

Que dire encore ? Si ce n'est que, avant de vous plonger dans ce livre sur Sattler, il vous faut avant tout vous interroger sur la nature des sentiments que vous inspire l'allégorie de la Mort. Êtes-vous capable de sourire devant le "Martin-Squelette" des "Disparus de Saint-Agil" ? Alors, dans ce cas, ce merveilleux ouvrage des Editions Deyrolle, auxquelles je souhaite pour ma part une très longue vie, devrait vous plaire. de même si les vers fameux de Shakespeare devant le crâne "au naturel" du "poor Yorik" ne vous font pas froncer le nez avec dégoût.

Bien entendu, si vous rêvez plutôt d'une armée de squelettes méchants et haineux comme dans "Histoire de Fantômes Chinois", le premier, ou encore comme dans ce film des années cinquante, avec les effets spéciaux de George Pal, sur Jason et les Argonautes, inutile d'ouvrir une seule page de ce livre. Vous n'y trouveriez pas ce que vous aimez.

Moi, par contre, j'y ai trouvé beaucoup de choses - et une foule de souvenirs heureux, j'ose l'écrire. Comme quoi ...

Merci encore aux Editions François-Marie Deyrolle et à Babelio, grâce à qui je puis adjoindre à ma liste d'artistes graphiques personnels ce Joseph Kaspar Sattler dont, je n'ai pas honte de le dire, je n'avais jamais entendu parler. Ses lithographies m'ont fait oublier la fuite du temps. Mais l'allégorie de la Mort n'a-t-elle pas adopté, au temps du christianisme, la faux et le sablier de Saturne ? ... A méditer. ;o)
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