Ce livre me pose d'énormes problèmes. Certes, sortir le dessinateur Joseph Kaspar Sattler des oubliettes avait son intérêt, et je veux bien qu'on confie la rédaction d'un livre concernant l'histoire de l'art à quelqu'un qui n'est pas historien de l'art - après tout, Georges Vigarello traite régulièrement du sujet lors de conférences ou d'expositions, alors qu'il est historien ; mais c'est qu'il a toujours travaillé comme chercheur de façon transversale et qu'il reste toujours en lien avec les thématiques qui font sa spécialité.
Ce n'est malheureusement pas le cas de Vincent Wackenheim, qui n'est certainement pas un chercheur professionnel ou amateur et dont les qualités pour la chose consistent visiblement à être éditeur juridique, ainsi que marié et père de trois enfants (cf. la présentation au début du livre). Ce qui fait tout de même tiquer un petit peu les esprits pointilleux, d'autant qu'ils découvriront rapidement que le même Vincent Wackenheim multiplie tout au long de l'ouvrage les clichés, oublis, approximations et contre-vérités sur l'Art Nouveau et le symbolisme. Il donne par exemple une définition de l'Art Nouveau en oubliant complètement une des lignes fondatrices du mouvement, à savoir qu'il s'agit d'un art qui se veut total. Dans la même définition, il prétend que l'Art Nouveau est né en réaction au symbolisme. C'est complètement faux et c'est un peu vite oublier que les deux mouvements sont contemporains et complètement poreux l'un à l'autre, qu'ils multiplient les convergences, que les revues comme Ver Sacrum ont constamment mêlé les productions de l'Art Nouveau et du symbolisme, que certains artistes sont bien difficiles à faire entrer dans une des deux cases plutôt que dans l'autre (on pense évidemment à Klimt, à Lalique, et à bien d'autres), etc., etc. On comprendra peu à peu que monsieur Wackenheim n'aime pas le symbolisme, ce qui l'autorise visiblement à raconter un peu n'importe quoi. Cela étonnera d'autant plus qu'il est vite évident qu'on peut rattacher sans problème Joseph Sattler au symbolisme.
Et donc, ce livre, qui a tout l'air de se présenter comme un travail de qualité sur un artiste, ne nous livre jamais la moindre analyse un tant soit peu rigoureuse et objective de l'oeuvre de l'artiste en question ; en fait, d'analyse tout court il n'y a point. Alors oui, on a bien droit à des textes accompagnant une série de dessins de Joseph Kaspar Sattler, mais il s'agit là de pures interprétations éminemment subjectives de la part de Vincent Wackenheim, qui ne reposent absolument pas sur les critères d'observation et d'étude propres à l'histoire de l'art, critères un tant soit peu nécessaires pour qui veut prétendre imposer son point de vue noir sur blanc dans un livre qui coûte tout de même 30€. Voilà qui me pose là aussi un sacré problème. Que Vincent Wickenheim donne quelques interprétations personnelles des dessins de Sattler, ça ne me dérangerait pas s'il les annonçait clairement comme telles et en fin d'ouvrage. Or, ici, c'est la première chose à laquelle on est confronté, avant même les dessins de l'artiste. Tenez-vous bien, au lieu de présenter au lecteur le dessin, d'abord, histoire qu'on puisse le regarder sans a priori, puis le texte, on nous impose le texte interprétatif avant le dessin - ce qui est ma foi un comble -, avant les chapitres sur le genre de la danse macabre, avant la biographie, et par là même on nous impose donc le point de vue de l'auteur qui ne repose sur absolument rien d'objectif. Drôle de façon de procéder, qui revient en somme à contaminer le regard du lecteur avant même qu'il ait posé les yeux sur l'oeuvre de Sattler.
Après cette présentation très contestable de la série de dessins intitulée Une danse macabre moderne, on a droit à tout l'historique des publications de Joseph Sattler, avec moult petits détails techniques, pratiques, quotidiens, assortis de documents pour faire du remplissage. Suit un chapitre consacré au genre de la danse macabre au Moyen-âge, puis au XIXème, avec là encore quelques jolies imprécisions et curieux détours. Je passe sur la relative incompétence de l'auteur en la matière, qui oublie joyeusement de parler des transis, qui voit dans la mode des dessins et cires anatomiques une continuité des danses macabres (c'est un tout petit peu plus compliqué que ça, mais pourquoi s'embarrasser de scrupules, n'est-ce pas ?), qui soutient que le XVIIIème - précisément le siècle où les dissections et les cires anatomiques furent très en vogue - consiste en une époque où le macabre n'était pas représenté ; ce n'est pourtant pas un hasard si Sade a écrit Les 120 journées pendant cette période. Et j'en passe. Là encore, approximations, oublis, contre-vérités. Hélas. le tout se terminant sur une biographie assez ennuyeuse de Joseph Sattler, toujours émaillée de documents divers pour donner un peu de consistance à l'ouvrage.
On ne peut pas pourtant pas dire que Vincent Wackenheim ne se soit pas renseigné sur le sujet, vu les détails, documents et notes en bas de page dont il nous afflige. le problème est que, d'une part, il est visible qu'il régurgite par moments, de façon assez laborieuse, une leçon apprise bien consciencieusement, et que, d'autre part, il ne maîtrise carrément pas son sujet. Par conséquent, on aimerait bien savoir ce qui a motivé les éditions de l'Atelier contemporain à lui confier la rédaction de ce livre. Une hypothèse : étant éditeur juridique, il a un bon réseau relationnel dans l'édition, il avait envie de se faire plaisir et on lui a donné carte blanche sans se poser de questions. Pourtant, et même si Joseph Kaspar Sattler est carrément méconnu en France, il doit bien exister des doctorants, ou d'anciens doctorants, ou encore des chercheurs amateurs, qui travaillent actuellement ou ont travaillé sur cet artiste de manière rigoureuse. Tiens, tiens, me vient à propos une dernière remarque. La dernière, mais non la moindre : comment se fait-il que le présent ouvrage ne propose aucune bibliographie ? Tous les renseignements que monsieur Wackenheim a rassemblés dans ce livre, il les a bien glanés quelque part, pourtant... Voilà qui est bien représentatif du travail approximatif de l'auteur et de la maison d'édition L'atelier contemporain (je peux vous dire que je me méfierai de leurs autres publications, après ça) et qui soulève même quelques questions sur leur éthique. Qu'est-ce qui m'empêche après tout de penser que j'ai sous les yeux un plagiat de thèses de doctorat ? En tout cas, ça y ressemble fort pour une grande partie de l'ouvrage.
Alors, oui, Wackenheim et L'Atelier contemporain ont sorti Jospeh Kaspar Sattler du placard, ce qui soulève un intérêt certain pour l'artiste. Ce n'était pourtant pas lui faire honneur que de publier cette imposture éditoriale. D'autant qu'à 30€ le bouquin, c'est franchement du vol.
Masse Critique Graphique
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SBN : 9791092444292
Editions : L'Atelier Contemporain - François-Marie Deyrolle
Nous tenons à remercier les Editions François-Marie Deyrolle et le site Babelio qui, dans le cadre d'une opération "Masse Critique", nous ont gracieusement envoyé un exemplaire de cet ouvrage.
Par une exception qui, depuis maintenant presque treize ans que j'assure ce genre de fiches, est la première, il n'y aura pas d'extraits pour un livre qui m'a pourtant passionnée à un point tel que je l'ai lu en deux jours. Il faut dire qu'il est difficile - ce n'est que mon avis, cela reste acquis - de donner des extraits d'un livre essentiellement consacré à une impressionnante série de gravures ayant pour thème la "Danse Macabre" du dessinateur, peintre, lithographe et certainement poète Joseph Kaspar Sattler.
Imprimée pour la première fois en 1894, cette "Danse Macabre Moderne" se composait à l'origine de treize gravures auxquelles, dans l'édition de 1914, vinrent s'en ajouter trois de plus. Pour Sattler, il s'agissait avant tout de donner sa propre interprétation de la tradition de cette danse squelettique qui domine tant d'ouvrages picturaux du Moyen-Âge.
Vincent Wackenheim a divisé en deux parties l'ouvrage qu'il avait décidé de consacrer à Sattler et une partie de son oeuvre. En ouverture, les seize gravures dont la Mort, sous sa forme allégorique, est le personnage principal, avec des remarques et l'interprétation personnelle de Wackenheim. Et puis une mise au point biographique qui nous apporte énormément de renseignements sur la vie, bien sûr, de Sattler mais aussi sur les circonstances dans lesquelles il conçut et fit imprimer sa "Danse Macabre Moderne."
Ayant été fascinée très jeune par l'allégorie de la Mort, que je croisais dans les fables De La Fontaine que je lisais, je me rappelle, auprès de ma grand-mère et dont, comme tous les enfants, j'observais avec curiosité le moindre petit détail ... hum ... anatomique, je n'ai jamais trouvé le moyen d'en avoir peur ou d'en faire des cauchemars. Si ce que j'appellerai la mort d'un être cher, cette disparition parfois subite et toujours douloureuse, me fait souffrir encore aujourd'hui, l'allégorie pure et toute simple de la Mort, ce squelette sans lequel nous ne pourrions pas faire un pas en cette vie si ennuyeuse, ne m'a, je le répète, jamais fait peur. Peut-être cela provient-il du fait que, dès la naissance - et bien que l'on ne dût l'apprendre que bien trop tard - j'étais atteinte d'une dégénérescence osseuse. En d'autres termes, ce qui symbolise la Mort dans les dessins, les peintures et jusque chez le prodigieux Terry Pratchett était chez moi mortellement atteint dès la naissance - et même avant, dans le ventre de ma mère, selon toute vraisemblance. Dans ces conditions, comment, je vous le demande, avoir peur d'un squelette ? comment même ne pas éprouver une forme de sympathie pour cet être qui est capable, lui pourtant censé représenter une entité si puissante, ressentir (et très douloureusement) la maladie dans ses pauvres os ?
C'est aussi sans doute pour cette raison que je partage très rarement l'interprétation de Wackenheim - aussi subjective que la mienne, cela va de soi - donnée à chaque gravure. Je n'en citerai qu'une seule comme exemple : celle où la Mort, vêtue de pourpre, symbole de puissance, pare le Christ en croix d'une couronne de laurier. J'ignore les sentiments que cherchait alors à exprimer Sattler mais, pour ma part, je vois en cette image cette Mort si puissante (la pourpre qui la recouvre) et pourtant si égalitaire, se hausser sur la pointe de ses os pour, en un geste d'une infinie tendresse et d'un respect qui "crève l'écran" en quelque sorte, placer la couronne du Roi des Rois bien au-dessus de la couronne d'épines infligée par ses bourreaux. Avec un peu d'imagination, on pourrait voir le crâne compatissant échanger le baiser de paix avec celui qu'il s'apprête à délivrer de ses souffrances humains.
Croyez-moi, je donnerai beaucoup pour voir l'original - mieux encore, le posséder ... L'artiste a su exprimer dans son dessin tant d'amour, de sagesse et d'intemporalité que cette image, au lieu de nous désespérer, nous redonne l'espoir.
Autre mise au point qui me semble nécessaire pour certains esprits un peu tordus : la Mort apporte ici l'espoir mais cet espoir n'a rien à voir avec le suicide. le Christ a accepté de mourir mais il ne s'est pas suicidé. Et si Sattler, dans une autre lithographie, représente un pendu (dans une sorte d'autoportrait très curieux que je vous laisse découvrir), la Mort qu'il nous restitue n'incite jamais au suicide.
Ce qui fait de cette "Danse Macabre Moderne", qui réussit si bien, en la présentant de cette façon, à rajeunir l'antique tradition médiévale (et que l'on soit d'accord ou pas avec l'interprétation de Wackenheim) un ouvrage magnifique, notamment par sa sobriété et son élégance. Il a également le mérite, dans sa deuxième partie, de rappeler l'influence qu'eurent sur Sattler Holbein et d'autres peintres allemands qui ont représenté les rêitres et autres mercenaires du Moyen-Âge et de la Renaissance. Plus proche de nous et grand admirateur, lui aussi, de l'allégorie de la Mort, le prodigieux James Ensor qui, en dépit de son prénom, était belge, si mes souvenirs sont bons - et que j'apprécie pour ma part énormément - n'est pas oublié.
Que dire encore ? Si ce n'est que, avant de vous plonger dans ce livre sur Sattler, il vous faut avant tout vous interroger sur la nature des sentiments que vous inspire l'allégorie de la Mort. Êtes-vous capable de sourire devant le "Martin-Squelette" des "Disparus de Saint-Agil" ? Alors, dans ce cas, ce merveilleux ouvrage des Editions Deyrolle, auxquelles je souhaite pour ma part une très longue vie, devrait vous plaire. de même si les vers fameux de Shakespeare devant le crâne "au naturel" du "poor Yorik" ne vous font pas froncer le nez avec dégoût.
Bien entendu, si vous rêvez plutôt d'une armée de squelettes méchants et haineux comme dans "Histoire de Fantômes Chinois", le premier, ou encore comme dans ce film des années cinquante, avec les effets spéciaux de George Pal, sur Jason et les Argonautes, inutile d'ouvrir une seule page de ce livre. Vous n'y trouveriez pas ce que vous aimez.
Moi, par contre, j'y ai trouvé beaucoup de choses - et une foule de souvenirs heureux, j'ose l'écrire. Comme quoi ...
Merci encore aux Editions François-Marie Deyrolle et à Babelio, grâce à qui je puis adjoindre à ma liste d'artistes graphiques personnels ce Joseph Kaspar Sattler dont, je n'ai pas honte de le dire, je n'avais jamais entendu parler. Ses lithographies m'ont fait oublier la fuite du temps. Mais l'allégorie de la Mort n'a-t-elle pas adopté, au temps du christianisme, la faux et le sablier de Saturne ? ... A méditer. ;o)
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Vincent Wackenheim - Chaos .Vincent Wackenheim vous présente son ouvrage "Chaos" aux éditions Galaade. http://www.mollat.com/livres/wackenheim-vincent-chaos-9782351763629.html Notes de Musique : Émilie Simon/Live on WFMU's Dark Night of the Soul with Julie - June 19, 2014/03 Ballad of the Big Machine. Free Music Archive.