Rentré chez lui, il se défoule. Il entame une de ses danses de Saint-Guy rituelles, gesticulant au rythme d’une musique imaginaire, se contorsionnant comme un ver pour éviter d’envoyer voler un vase ou de se cogner dans la table. Son père enfonce le nez dans son journal pendant que sa mère, vigie frémissante, guette le moment où il devra impérativement cesser de s’agiter, pour ne pas s’attirer les foudres paternelles. Il ouvre régulièrement les yeux au milieu de sa transe, et lorsqu’elle lui fait signe, il s’arrête et grimpe quatre à quatre l’escalier qui mène à sa chambre. Dès qu’il en franchit le seuil, il se regarde dans le miroir en pied. Il a les joues rouges, les yeux brillants, et le sourire jusqu’aux oreilles. Il exécute quelques montées de genoux en s’observant, mais le sol tremble sous ses pieds et il file prendre sa douche.
« Il se concentre. Il sollicite la mémoire de son corps. Visualise sa course du début à la fin. La réalise sans bouger d’un pouce. Se sent atteindre un palier, puis deux, puis trois. Éprouver l’impulsion. Sens venir le mouvement. » (p. 68)
"Le ciel est la limite !", pas vrai Richard ?
C'est le titre que le journaliste avec qui il a sympathisé a donné à son article. Sous la photo de Richard en train d’effacer la barre, en lévitation au milieu des arbres, il a écrit : "l’athlète qui saute avec son esprit". Ca n’a pas manqué de faire rire la bande.
Et les filles, tu les sautes avec ton esprit aussi ? (page 315)
L'amour inconditionnel est une bénédiction et une malédiction, se dit-il en la regardant. Etre aimé sans être compris, en voilà un cadeau empoisonné.
Le plaisir que lui procure la présence de Beckie lui est tout aussi nécessaire que celui, singulier, que lui donne le sport. Et soudain, il découvre que ces deux nécessités se font la guerre. (page 147)
« Être aimé sans être compris, en voilà un cadeau empoisonné. »
La vie est un bâton de merde : quel que soit le côté par lequel tu la prends, tu t'en fous plein les doigts.
- Tes actions ne doivent pas entraîner de désordre.
Richard pique une suée. Est-ce une phrase à double sens ? Smith est-il au courant de ses incartades ? Va-t-il le faire renvoyer, ou interdire à se fille de le revoir ? Il essuie ses paumes moites sur son marcel.
- Ton saut ne doit laisser aucune trace poursuit le Philosophe. Ca veut dire quoi ? (page 132).
Richard perfectionne ses foulées, et en poursuivant sa route, il comprend soudain que ce qu'il trouve dans la course, ce qu'il rejoint, c'est le silence, un silence unique et impartageable, le silence du sport, qui l'isole sans peine de tout ce qui l'entoure, un silence jouissif qui règne en maître avant de le déserter brutalement.
La destinée choisit ses enfants. Elle les élève ou les terrasse pour les mêmes raisons. Nous avons tous un devoir à accomplir.