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Critique de HordeDuContrevent


Voilà un livre dans lequel l'image stéréotypée du beau cow-boy aux yeux bleus et ténébreux, au chapeau en cuir légèrement incliné, pose virile sur son cheval, clope au bec, est loin, très loin. le cow boy ici n'est pas vraiment un héros à la Clint Eastwood : il est crade, sent mauvais, est souvent ivre, a une haleine de chacal et n'hésite pas à tuer : « La sueur transformait leurs haillons en une enveloppe à l'odeur âcre. La sueur et les relents ordinaires de la misère humaine : la pisse, la merde, la peur et le désespoir, réunis dans un halo palpable d'effluves qui saturaient l'air autour d'eux ». C'est une façon ultra réaliste qu'a Lance Weller de nous conter la conquête de l'ouest, le tout servi par une écriture enchanteresse.

Les marches de l'Amérique sont ces lisières territoriales, ces zones frontières, démarcations entre le bien et le mal, entre la sauvagerie et la civilisation, entre l'Amérique et ces espaces encore non conquis, à l'ouest, et dont les conquêtes successives ont construit l'Amérique. Ces marches qu'il faut dompter pour avoir une Amérique s'étendant de l'Atlantique au Pacifique, alors que les indiens luttent et défendent leurs territoires. Ces territoires, comme le Texas, qui réclament l'annexion, versent leur sang en combattant tout ce qui est mexicain ou indien. Des endroits où l'herbe laisse place aux broussailles, puis au sable, à la cendre, aux pierres sur lesquelles les sabots des chevaux font jaillir des étincelles. L'air y est sec et électrique, les nuages immenses et majestueux. Bienvenu en enfer à la marge de toute civilisation ! « Cet endroit n'est pas fait pour les hommes ni pour les bêtes. Il est même pas fait pour les porcs. (Il se pencha pour cracher dans le feu, puis il s'essuya la bouche.) C'est rien d'autre qu'une chaudière où on va tous brûler».

Nous suivons les déambulations, ou plutôt les errances, d'un trio composé de deux hommes, Tom et Pigsmeat, et d'une femme, Flora. Errant vers l'ouest, ils se trouvent à la lisière, dans le wild, croisant des pionniers, des vagabonds, des hors la loi, de pauvres hères en recherche d'un ailleurs meilleur, de l'Eldorado, d'un nouveau commencement.
Un trio à la puissance romanesque incroyable, des personnages superbement campés, tout en ombres et en lumières : Flora, esclave sexuelle émancipée, une Mexicaine dorée par le soleil, ou une Indienne, dont la force de caractère résonne encore en moi. Elle est belle mais d'une beauté qui fait peur : « d'une beauté si parfaite et si terrifiante qu'aujourd'hui encore, après tant d'années, tu ressens toujours cette impression dans ton coeur, car tu avais compris, rien qu'en la voyant, que l'histoire de cette femme était monstrueuse, que son avenir ne pouvait être qu'un funeste fardeau».
Tom, enfant silencieux, dont la naissance même fut silencieuse, si silencieux tout bébé qu'il en devenait effrayant ; sa mère n'hésitera pas à lui tordre le bras de temps à autre afin qu'il puisse enfin émettre ne serait-ce qu'un son. Son enfance sera triste : « La mère de Tom passait ses longues journées, sombres, tristes et froides, avec son étrange enfant silencieux, contemplant l'extraordinaire gel de l'été couvrir les vitres d'écailles qui faisaient penser à de délicates toiles tissées par des araignées laborieuses ». Tom sera ensuite un homme silencieux puis un tueur d'hommes. Il y a le timide et laid Pigsmeat enfin, au bon coeur, qui voue une amitié indéfectible à Tom.

Tous trois ne savent pas vraiment qui ils sont, s'ils sont bons ou mauvais, cette errance aux lisières du pays est la quête de leurs propres frontières.

Ce western captivant a laissé ses empreintes en moi, telles des griffures à la margelle du coeur. Il m'a conquise, perturbée, tombant avec fracas dans le puits profond des émotions, à l'écluse de l'intime. Ce roman a le charme des chansons d'Emily Jane White (Hole in the middle), ce charme qui fleure la chaleur, la sueur, la crasse, les grands espaces, la liberté, les chariots bâchés et les tentes, la poussière, la boue, les soleils couchants sanglants. Qui fleure la violence aussi. Omniprésente la violence. C'est un personnage à part entière du roman, elle est parfois explosive, parfois contenue mais bien visible, indélébile, proche, la violence rôde : « Il se retourna, les mains palpitantes au bout de ses poignets comme s'il ne savait pas quoi faire de ses poings ; ou comme s'il le savait mais se retenait à grand-peine de le faire. »
Mais à cette violence, parfois insoutenable, s'entremêlent une poésie d'une authenticité poignante et de fréquents passages de Nature Writing d'une beauté simple et sauvage. Et je crois bien que c'est ce mélange là qui fait toute la force du livre. Oui, l'écriture de Lance Weller est sublime, merveilleuse quand elle raconte les nuages, les ciels étoilés, les soleils couchants, remarquable quand elle exprime la rage et les souffrances de ses personnages…même un mal de tête est décrit à merveille, au point de sentir presque ses propres tempes palpiter.

La volonté de conquête de l'ouest narrée par Lance Weller pourrait être résumée ainsi : « Il alla vers l'ouest pour la simple raison que c'était là que le soleil tombait et c'est précisément cela qui l'attira – on aurait dit que le vent le guidait dans cette direction et l'herbe qui se courbait sous le vent indiquait elle aussi cette direction en frissonnant. Et les pulsations du sang dont il avait hérité le conduisaient vers l'ouest, une sorte d'attraction héliotropique le poussant vers un horizon rougeoyant. » La conquête de l'ouest par Lance Weller, c'est à la fois violent et magnifique, et "ça secoue quand même son bonhomme !"


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