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Critique de JBLM


Roman assez intéressant, qui plonge le lecteur au sein de la bonne société new-yorkaise fin XIXème - début XXème siècle, mêlant à la fois intrigue amoureuse et portrait (au vitriol) des moeurs sociales.

On suit un personnage principal qui, tout en se conformant aux usages de son monde, les remet de plus en plus en question au contact de la liberté d'esprit d'une jeune femme qui a attiré le scandale sur elle en quittant son mari polonais de façon tonitruante, scandale dont les échos l'ont bien entendu précédée au moment où, au grand dam des familles américaines pseudo-princières et profondément puritaines, elle revient poser ses valises auprès de sa riche tante, dont l'obésité n'a d'égale que l'excentricité. D'abord gêné par cette irruption qui risque de rejaillir sur lui par ricochet du fait de son mariage prévu avec la jeune et naïve cousine de la comtesse Olenska, Newland Archer délaisse peu à peu ce souci du paraître au profit d'une fascination croissante pour cette femme qui incarne l'idéal d'indépendance, l'aventure qu'il rêve de voir s'intercaler dans la si brillante et si monotone destinée qui lui est tracée.

L'écriture incarne de façon remarquable l'état d'esprit qui régit la société américaine de l'époque : une écriture de non-dits suggestifs et d'impulsions insensées. Jusqu'à l'évocation du fantasme d'une étreinte dans le salon de Mme Olenska, rien sur le plan textuel ne permet de prêter de façon formelle des sentiments amoureux à Newland ; c'est une idée qui existe très tôt, mais une idée insidieuse, que Newland lui-même ne semble pas s'avouer lorsqu'il étale les prétextes pour envoyer des fleurs ou qu'il s'investit pour que la comtesse fasse l'objet d'une réception de bienvenue dans le meilleur milieu, ou mieux encore, lorsqu'il n'en étale aucun et agit simplement en sa faveur. Ce caractère impulsif trouve son négatif, avec la démarche disproportionnée de Newland pour accélérer son mariage avec May, empressement moins motivé par l'amour que par la peur d'un amour concurrent, épisode qui transforme d'ailleurs complètement le regard un peu condescendant que le lecteur peut porter jusqu'alors sur May, qui fait preuve d'une acuité, d'un discernement dont on ne la soupçonnait pas capable. de fait, elle est à l'image de son clan et de la société dont elle suit, pour le coup, aveuglément les codes : elle fait semblant de rien, mais elle n'est pas aveugle. Si le lecteur soupçonne une attirance entre Newland et Mme Olenska sans pour autant qu'il y ait d'épanchement la confirmant, même en narration interne, il en va de même pour tous les autres personnages apparemment indifférents, presque invisibles, qui gravitent autour du couple principal, l'observent, l'interprètent, comme Newland s'en rend compte trop tard, et dont on peut, avec effarement, mesurer la tranquille force centrifuge au dîner d'adieu à la comtesse. Seules deux circonstances dissuadent Newland d'opter de son propre chef pour l'aventure, en dépit du regard de son monde, deux circonstances qui dictent sa conduite en vertu d'un autre usage autrement plus noble que celui du silence hypocrite, le devoir. du point de vue de la psychologie individuelle et surtout collective, incarnée stylistiquement, c'est une incontestable réussite.

L'histoire n'est cela dit pas exempte de points négatifs, au premier rang desquels les dialogues parfois d'un mièvre pénible entre Newland et Mme Olenska, ce genre de dialogues par énigmes absolument insupportables qui obligent à chercher en vain le référent, souvent implicite, de tel nom, pronom ou adverbe. C'est vraiment ce que je déteste le plus dans ce genre de romans un peu sentimentaux. Heureusement, il n'y en a que deux ou trois, pas de quoi contrebalancer l'impression globalement favorable sur laquelle laisse ce récit légèrement satirique et profondément tragique, dont la violence occupe une grande part mais ne revêt aucune forme physique. La faillite des Beaumont, parenthèse extrêmement significative sur le lien qui unit l'honneur à la solvabilité à l'époque, est l'une des formes marquantes de cette violence, passionnante à suivre eu égard au luxe déployé par eux en ouverture aux yeux du lecteur. Il faut savoir avant de commencer que l'action occupe une part négligeable dans le roman, sous peine d'être un peu frustré : c'est l'aspiration à l'action étouffée dans l'oeuf qui constitue le sujet du livre.

Sinon, si vous avez la flemme des paradoxes intérieurs, le film de Scorsese est très bien aussi et respecte largement le livre et son esprit.
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