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Critique de Lenocherdeslivres


L'ascenseur, symbole des villes verticales, où les gratte-ciel sont rois. Et pour les protéger, les surveiller, le département d'inspection des ascenseurs. Parmi eux, récemment arrivée, Lila Mae Watson. Une femme. Noire. Autrement dit mal acceptée et peu intégrée dans ces États-Unis encore fortement racistes. Quand un accident survient avec un ascenseur qu'elle avait examiné, tous les regards, accusateurs, se portent sur elle.

Voici donc, réédité, le premier roman de Colson Whitehead, un écrivain noir américain engagé dans ses écrits : la question de la place de ses compatriotes de couleur est présente dans ses oeuvres. Et ce, dès ce premier opus au titre mystérieux, L'Intuitionniste. Mais ce n'est pas ce qui saute aux yeux à l'entame de ce roman. Nous sommes dans l'univers des ascenseurs, avec leurs serviteurs. D'ailleurs, l'auteur n'hésite pas à nous citer certains passages de traités ayant pour sujet ces machines et leurs spécificités. Ainsi que des détails fort exhaustifs sur les modèles, leurs noms, leurs caractéristiques. Je suis toujours fasciné par cette passion apparente que certains partagent ainsi : on ne peut qu'être conquis par cette immersion dans cet univers ou le vertical est le seul choix de mouvement possible.

Surtout quand Colson Whitehead ajoute une intrigue policière. Et une enquête, voire une quête. En quelques mots : un ascenseur chute alors que les pontes visitent un bâtiment municipal. L'inspectrice Lila Mae Watson l'avait examiné la veille. Il n'est donc en principe pas possible que cette chute soit naturelle. Sabotage ? Oui, mais dans quel but ? On découvre alors que les thuriféraires des ascenseurs sont divisés en deux clans irréconciliables, les empiristes et les intuitionnistes. Les premiers vérifient les organes de ces engins de leurs propres yeux, touchent les câbles avec leurs mains. Mes seconds, suivant les préceptes de leur gourou James Fulton, sentent les ascenseurs. Pas besoin d'examiner de près les machines, ils les comprennent. Comme par magie, par fluide. D'aucuns parlent de vaudou.

Et c'est dans ces choix de mots que se révèle l'arrière-plan de cette lutte. L'ancien monde, celui des Blancs, se trouve en lutte contre le nouveau, celui des Noirs. « Voici quelques-uns des surnoms dont les empiristes affublent leurs collègues hérétiques : gourous, vaudous, sorciers, Houdini, autant de termes empruntés à la terminologie de l'exotisme noir. » L'auteur ne s'en cache pas : son roman parle aussi d'une possible ascension d'une partie de la population, jusqu'ici cantonnée dans les endroits les plus sordides, les plus défavorisés. À travers Lila Mae, qui croise d'autres Noirs qui tentent de s'intégrer dans une société blanche repliée sur elle-même, le lecteur peut croire à un progrès, à un autre avenir. Cela passe peut-être par la découverte de la boîte noire.

Car, outre l'histoire tournant autour des ascenseurs et des protagonistes tentant d'obtenir, sinon le monopole, du moins la première place dans cette industrie, Colson Whitehead ajoute un récit policier doublé de la quête d'un objet quasi mythique : la boîte noire inventée par James Fulton, le chef de file des intuitionnistes. Ce serait l'ascenseur parfait. La machine capable de révolutionner cette industrie. Il faut donc être le premier à s'emparer du plan, le premier à la construire. Et les prétendants sont nombreux. Et violents. Pas de quartier pour les malheureux ou malheureuses qui se trouvent sur leur chemin. On retrouve dans ces passages tous les clichés des récits de genre, avec politiciens corrompus, mafieux, hommes de main sans pitié.

Alors, qu'est-ce que donne ce grand mélange ? Un roman, parfois maladroit, mais drôlement attachant et sacrément riche. Parfois, on ne sait plus trop où donner de la tête. D'autant que Colson Whitehead a pas mal complexifié son texte. Il utilise de nombreux retours en arrière. C'est assez courant et normalement, cela n'a rien de rédhibitoire. Cependant, dans L'Intuitionniste, il le fait très souvent et ce de manière pas toujours facile à suivre : on ne sait jamais où ni quand on va être projeté. Parfois, on ignore même qui on suit. Alors on retombe toujours sur ses pieds, mais cela demande une certaine gymnastique qui n'apporte pas nécessairement grand- chose à l'intrigue ni au plaisir de lecture. Malgré tout, j'ai beaucoup aimé cette plongée dans l'univers d'un auteur dont j'ai aimé les oeuvres suivantes, aussi bien Nickel Boys que le plus ancien et étrange Apex. Albin Michel va, si j'ai bien compris, continuer à republier les ouvrages de Colson Whitehead. J'apprécie grandement cette initiative, car cet auteur a une réelle force et une plume qui mérite largement le détour.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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